Les rats et les serpents (extrait n°8 du 10 octobre 2002) par Bernard Kudlak
J’enfile mes vieux sabots de jardin pour sortir du bureau m’aérer près de l’eau, je sens un truc dedans. Je n’ai pas le temps, je marche, mais le truc m’embête. J’empoigne mon sabot droit, le retourne, en tombe un frelon.
Même pas piqué ! C’est l’automne, des frelons il y en a plein la vigne qui court sur le mur. Un raisin âpre, sec mais plein de vie et de goût.
Au chapiteau, nous avons fait un point après le petit coup de blues. Attends, je cherche mon cahier, j’ai noté des choses…Pas de cahier, Brigitte est partie répéter avec la voiture et le cahier est dedans : ce dont je me souviens de ce que nous avons dit, c’est que chacun peut animer un atelier, prendre en charge un bout de la recherche, et le proposer aux autres, à sa façon, hors de l’obligation de résultat et hors de l’obligation de mener la recherche : tu as une envie, tu peux la mener, et les autres artistes se mettent en disponibilité pour essayer.
Dit aussi que le flottement est très fécond car, dans un moment de doute ou un moment où personne ne propose rien, il se produit un déclic qui fait que celui ou celle qui n’imaginait pas pouvoir mener une partie de création le fait, et en surgit une richesse insoupçonnée. C’est ainsi que Brigitte conduit le travail de trapèze voletant.
Bref, à l’issue de la réunion, il appert qu’on est très content d’avoir un peu pédalé.
Ça vaut le coup, parce que si on n’avait pas pédalé et si on avait avancé à fond la caisse, on serait également très content. A tous les coups on gagne (Comme disait Muhammad Ali) !
A vieillir, il est certains avantages dont celui, précieux, d’avancer dans notre fonctionnement.
Hier, on a filmé la scène dite "de la bâche folle". Je n’en dirai pas plus.
"Mais comment on peut avoir une idée pareille a demandé Brigitte". Depuis vingt ans qu’on travaille et qu’on vit ensemble, je suis arrivé à l’étonner.
Pas peu fier ! En plus, l’étonner avec des idées comme d’habitude… mais différentes !
Dans la vigne, ce matin, il y avait deux rats, un petit et un gros (la nuit il y a des loirs). Nous n’avons pas de chat parce que le jardin est plein de serpents, (des couleuvres - trois espèces !) et que les chats les feraient fuir. Et puis il y a des fouines sous le toit de la salle d’entraînement, mais elles sont peut être en grève… Feignasses ! L’hermine qui habite le tas de bois en face pourrait aussi faire le boulot ! Non ?
Là, une petite parenthèse : mon correcteur ne comprend rien à ce qui précède, car y me dit que c’est pas français. Alors, ceux qui ont compris, avancez jusqu’à le chapitre suivant.
Les autres, ben c’est simple : le travail des mustélidés dans un jardin, fouines, hermines, belettes, c’est de manger les rongeurs. Les rats sont des rongeurs. Et devraient être boulottés par les carnivores ci-dessus cités. Dans les livres, cela s’appelle le cycle de la nature.
Mais des fois on sait pas de quel côté il tourne, le cycle. Par exemple, l’autre jour Soraya, mon aînée, a assisté à une baston d’un rat contre une couleuvre (ou lycée de Versailles !). Dans ce cas-là, le cycle naturel, on peut pas dire… est-ce le rat qui bouffait l’Esculape, ou le serpent qui faisait son repas mensuel ? J’en sais rien. Au beau milieu des fleurs et des potimarrons ! Allez faire vos conneries ailleurs ! Devant les gosses en plus, avec toute cette violence à la télévision.
J’aime les serpents dans mon jardin.
Quant aux rats… vieille histoire. Pourquoi a-t-on envie de ne pas avoir de rats ? Ils sont mignons, mais, au fond, ils nous mettent de la colère et de la peur. Alors on crée des villes pour ne plus les voir, et c’est là dedans qu’ils grouillent le plus. Vieux frères !
Le rapport à la nature m’est indispensable pour vivre. J’aime le retrouver dans Shakespeare ou Goethe, mais je ne sais pas où il est dans les productions contemporaines. C’est vrai aussi que je suis peu au fait de ces dernières. M’aiderez vous ?
Entre la fusillade raciste de Dunkerque, le surinage du maire de Paname, et la pauvre petite brûlée vive, cette semaine, c’est la semaine du passage à l’acte. Comme dans un film américain ! Contamination ?
Vu le film de Michael Moore "Bowling for Columbine" : courez-y, c’est un chef-d’œuvre et il nous parle de ce qui précède.
Ca m’énerve, ça m’énerve ! De n’entendre des réclames que pour des salles de théâtres parisiens sur les radios publiques nationales (J’arrive pas à écouter les autres radios, je fais des crises d’allergie aiguës à la publicité, j’en suis donc dispensé).
Il y est dit, et admis, que quatre cents spectateurs parisiens valent autrement plus que quatre cents ploucs de n’importe quelle autre salle en France : on ne parle d’une pièce ou d’un spectacle qu’à son arrivée dans la capitale, même après six mois de tournée "ailleurs", en province.
A l’heure d’Internet, je vous jure !!!
L’autre jour, France Culture transmet une émission depuis le Théâtre National de Strasbourg. Le journaliste, parisien, se sent obligé de dire : "Pour ceux qui sont restés à Paris, je vais vous dire le temps qu’il fait à Strasbourg". C’est sympa pour ceux qui sont restés à Strasbourg, ils ne sont pas obligés d’aller à la fenêtre.
Peut-être était-ce de l’humour ? J’ai pas senti ! L’humour, c’est surtout culturel !
Pour en revenir à la province, à la campagne, à la nature, je suis attristé de constater jour après jour, que nos campagnes ne deviennent plus qu’une espèce de parc d’attractions ou de loisirs, destiné à défatiguer la riche faune stressée des villes lumières.
Calme, air pur et sentiment de supériorité. Ne serait-ce que par images interposées. Sur le mode :
L’image de soi :
l’image de lui.
L’image déçoit :
l’image reluit.
A vieillir, l’inconvénient, c’est qu’on ne supporte plus rien…
Merdebleu, ça vient de changer ! Dernières nouvelles apportées par le facteur (je vous préviendrai quand on aura plus de facteur dans les campagnes profondes, après la privatisation) : Télérama (de ce mercredi) dit que tout le monde s’en branle de la culture aujourd’hui (ils aurait pu me prévenir avant que j’écrive ce texte, déjà que je suis à la bourre !), et même que certains commencent à être fiers de leur ignorance, qu’ils n’ont plus peur de passer pour des cons : l’importance, c’est les tunes, les bagnoles et les loisirs.
La worldbeaufcompany a de beaux jours devant elle.
Comme en Amé…Arrête avec ça ! Tu nous fatigues.
Le 10 octobre 2002.
Bernard Kudlak