Florence Delahaye
Comment une goutte d’eau, pire, une vraie fuite d’eau peut elle donner naissance à un spectacle ? Ce petit élément perturbateur va décaler complètement les numéros attendus, influençant et même provocant le jeu des artistes sur scène. Pendant deux heures, c’est une pluie d’idées, un goutte à goutte de tableaux surréalistes, distillé avec humour.
Le Cirque Plume est un des pionniers du " nouveau cirque ", ou " cirque contemporain " comme on dit plus souvent aujourd’hui. Ce " nouveau cirque " se caractérise souvent par une mise en scène qui emprunte aux règles du théâtre, de la danse, et s’ouvre à toutes les pratiques artistiques contemporaines. Il ne se sent pas forcément d’obligations par rapport aux habitudes et usages du cirque dit " traditionnel ". Le " nouveau cirque " est à la recherche de nouvelles rencontres sensibles et esthétiques et s’éloigne souvent du spectaculaire.
La genèse de Plume.
Les quatre premiers membres fondateurs du futur Cirque Plume se rencontrent dans une fanfare à Besançon. Leurs envies de cirque, de fêtes, leurs rêves et leurs utopies les mènent progressivement, par l’apprentissage du jonglage, puis par de premiers spectacles, vers l’idée de la création d’un Cirque. Et en 1984 le Cirque Plume est né !
C’est le tout début, la compagnie est encore fragile, les artistes ne peuvent pas tous être à plein temps dans le cirque. Puis la troupe suit son chemin et sent le besoin d’embaucher des artistes de cirque professionnels pour compléter le noyau fondateur. La Région de Franche Comté soutient la compagnie, qui en est originaire et y reste extrêmement liée.
En 1986, le Cirque Plume joue au festival " off " d’Avignon. La création continue en 1988 avec " Spectacle de Cirque et de Merveilles ". En 1990 la création " No Animo Mas Anima " se joue maintenant à Paris, au Parc de La Villette. Suivent encore deux autres spectacles, " Toiles " joué dés 1994, et ensuite " L’harmonie est elle municipale ? " en 1996. Ce dernier est joué sous l’immense chapiteau jaune de 1000 places dessiné et acquis par la compagnie.
C’est un grand succès public, tout comme " Mélanges (opéra plume) " en 1999. En 2002 " Récréation ", sorte de best off des précédents spectacles, permet à la compagnie de dégager un temps de création pour le suivant...
Et nous y voici ! En 2005 le public peut applaudir " Plic-Ploc ", Sème création du Cirque Plume....
Le spectacle Plic-Ploc.
C’est un spectacle qui se joue en frontal, et peut donc être joué sous chapiteau ou en théâtre. Utopistes aux racines théâtrales et politiques, les artistes de Plume veulent nous offrir " la nostalgie du paradis ", alors si tout prend l’eau, qu’à cela ne tienne !
La première inspiration du spectacle vient prosaïquement d’un problème de climati seur lors d’une tournée à New York. Mais cet élément basique, voire agaçant, la petite goutte d’eau qui tombe, la fuite d’eau, Bernard Kudlak, le metteur en scène, en a fait un élément perturbateur et la source même du spectacle. Tout naît de cette eau imprévue et intarissable, qui rebondit sur l’inventivité sans limite des artistes sur la scène. La mécanique bien huilée du spectacle de cirque est éclaboussée jusqu’à ce que finalement ce soit l’eau elle-même qui mène la danse ! Les jets d’eaux deviennent feux d’artifices.... La scène trempée se transforme en une batterie pour un absurde et cocasse duel des percussionnistes Nicolas Boulet et Laurent Tellier, dit " Loio ". Et " l’eau, l’eau, c’est beau... " comme le chante en chœur la troupe... L’eau, maintenant la voilà miroir, réfléchissant l’ambiance poétique d’un bord de mer, où cabriolent tels des enfants nos joyeux lurons. Dans un spectacle de Plume tout devient prétexte à jonglerie et concert improvisé, les jets d’eau, les bulles de savons, et les mots aussi....
Robert Miny a composé la partition et sa musique, jouée par les artistes en direct sur la scène, porte à la fois la poésie et l’énergie de Plic-Ploc. Elle est en symbiose totale avec l’élément déclencheur et la folie douce distillée dans l’air : vous entendrez donc une composition pour bassines, plusieurs morceaux pour casseroles, découvrirez en passant le clavicyclette... Et l’esprit de la fanfare originelle du cirque Plume est toujours bien présent.
Ici tout le monde est un peu clown, l’autodérision est peut être le seul élément stable sur la scène trempée. On rira notamment avec les jeux de mots absurdes de Patrick Barbenoire, qui évoque ses histoires de jeunesse avec un accent franc-comtois marqué. Mais on rit aussi des inventions et des mimiques de Maëlle Boijoux, de Laura Smith, ou encore de Hugues Fellot, incroyable mime-clown préposé à la réparation des fuites, qui joue à la perfection le faux naïf.
Pendant que la compagnie s’organise en équipe de nettoyage dans une tentative de plus pour assécher les planches, Guyom Montels, dans un numéro de jonglage contact, se débat avec sa balle, qui sans doute trop influencée par le comportement des fuites alentours, n’obéit plus à son propriétaire.
Les ustensiles les plus simples peuvent être transformés en agrès, un tuyau d’arrosage ou des parapluies....On verra y aussi des agrès de leur invention, comme ce rideau d’anneaux métalliques dans lesquels évolue avec une légèreté et une agilité déconcertante Sylvaine Charrier, contorsionniste à la grâce de chat, avant de rejoindre son cerceau pour un joli numéro aérien. Ou encore, cette immense bâche de plastique transparent derrière laquelle les artistes évoluent dans une impression d’apesanteur, comme en eau profonde.
L’amour est le fil conducteur du très juste et sensible numéro de portées de Laura Smith et Mark Pieklo, que l’on retrouve ensuite avec bonheur au cadre coréen où Laura trouve une meilleure méthode que Marie Poppins pour s’envoler !
Tous les artistes sont techniquement époustouflants, preuves à la bascule, au main à la main, et aux acrobaties à tout bout de champ...
Pierre Kudlak, imperturbable en bon Mr loyal, garde son aplomb, même quand la situation semble insoluble ou définitivement saugrenue. Mais attention, le numéro de domptage de bête féroce comporte des risques...insoupçonnés !
Si aujourd’hui le Cirque Plume n’est plus novateur en terme d’invention d’un nouveau genre de cirque, il reste une référence et a su garder son identité première. Chez Plume la recherche d’images poétiques prend le pas sur la mise en valeur des prouesses tech niques. L’ambiance en salle est bon enfant et les éclats de rires pleuvent pendant ce spectacle plein de vie et d’humour, qui fait la part belle à l’absurde, à la folie douce, et aux plaisirs simples de l’enfance.
Plic-Ploc est " tout public " et peut plaire à tous les âges, à déconseiller peut-être néanmoins aux tout-petits en raison de la durée du spectacle, 2 heures.