Le Monde
2 août 2013

Le Cirque Plume survole trente ans de triomphes

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La compagnie s’offre avec "Tempus Fugit ?", son nouveau spectacle, un réjouissant cadeau d’anniversaire

Condamné au succès ! Pire, au triomphe. Trente ans que ça dure. Trente ans que, chaque soir de représentation, les spectateurs se lèvent pour le Cirque Plume. À l’affiche des Nuits de Fourvière depuis le 28 juin, le nouveau spectacle des Plume, Tempus fugit ?, a fait un carton : 30 000 spectateurs au total, avec deux soirées supplémentaires pour cause de succès. On peut rêver pire comme condamnation à perpétuité.
La troupe a choisi la plume pour écusson en référence aux oiseaux, aux anges, aux poètes et a "l’âme des morts, qui doit toujours être plus légère qu’une plume dans la mythologie égyptienne", explique Bernard Kudlak, patron et metteur en scène de la troupe. Des plumes blanches, il en tombe quelques-unes sous le chapiteau installé dans le parc de Parilly, à Bron (Rhône). Pendant que le piano a queue suspendu dans les airs atterrit tant bien que mal sur scène, une malle en métal se met a claquer des dents sous le choc d’un tonneau qui ronfle comme un saxo. Boucan d’enfer pour appareiller le navire.
D’immenses toiles blanches rapiécées font souffler le bon vent de la piraterie des artistes de cirque. Et avec toujours chez Plume ce coté bricolo, un peu mal léché, pas propre sur lui, bon enfant mais très savant. Surtout lorsqu’il s’agit d’additionner des numéros beaux comme des mirages et des exploits pur cirque, en veux-tu en voila. Quant à la musique jazz et pop-rock, marque artistique de Plume, elle fait chauffer les cuivres et embarque son monde sans demander la permission a personne.
Tempus fugit ? est un splendide gâteau d’anniversaire, débordant de saveurs. Le régime Plume ne se serre jamais la ceinture, et il a raison. Pourtant, sa confection n’a pas été des plus simples. La mort brutale du compositeur Robert Miny, le 1er mars 2012, a fait trembler la toile. "Lorsque, un an après son décès, je suis entré sous le chapiteau pour les répétitions, sa disparition m’est tombée sur la tête, confie Bernard Kudlak, très ému. J’ai cru que je n’allais pas pouvoir reprendre le travail." Mais, pour fêter trente ans de cirque, pas question de mollir. L’équipe composée de quelques anciens, parmi lesquels Pierre Kudlak, Brigitte Sepaser, Jean-Marie Jacquet, s’est serré les coudes. Tempus fugit ? C’est comme ca, c’est la vie, bienvenue aux jeunes !
Et quels jeunes ! Originaires de Bruxelles, de Montréal et de France, huit circassiens ultradoués ont regonflé le plumage de la troupe, qui compte treize artistes sur scène. Gregoire Gensse fait claquer la langue au public comme un seul homme tout en se tapant sur la gorge pour en faire jaillir des sons rigolos. Mick Holsbeke entrechoque tempérament de clown et talent de jongleur. Maxime Pythoud tourbillonne dans son énorme roue Cyr en enchainant les prouesses. "Maxime et Grégoire sont venus voir Plume lorsqu’ils étaient petits, raconte Berbard Kudlak. C’est un bonheur de les avoir avec nous." Quant aux filles, habillées à la manière de Gitanes en vacances comme au début du Cirque Plume, elles sont rapides comme l’éclair des qu’il s’agit de danser sur un fil ou sur un trapèze.
Tempus fugit ? remonte le temps, retourne aux origines. Il trace a travers une dizaine de spectacles. Il se souvient. Des ouvriers débarquent en bleu de travail. Rappel que le cirque est un travail manuel. Rappel aussi des racines populaires de la famille Kudlak, installée a Valentigney, près de Montbéliard. Le père, d’origine polonaise, travaillait chez Peugeot, la mère était à la maison. Quatre enfants. Les deux frères passent leur temps dans les bois. À 7ans, Pierre joue du clairon dans la fanfare municipale du village ; Bernard choisit le saxophone.
Le désir d’un théâtre populaire s’engouffre dans l’espoir de Mai 68. Sa déception aussi. "L’histoire des arts de la piste et de la rue dans les armées 1970 est très particulière, observe Bernard Kudlak. À I’époque, on avait aucune technique. On apprenait en faisant. On marchait sur du verre pilé, sur une planche a clous, on crachait du feu. On n’avait pas de place dans un lieu officiel. On devait trouver un endroit vierge et prometteur. Ça a été le cirque." Avec des références comme le Bred and Puppet, le Living Theatre, Chagall, Baudelaire et Prévert... Et la main tendue pour faire la manche en jouant les matadors. Comme le fait Pierre Kudlak pendant le spectacle. "Le cirque sera toujours marginal, glisse Bernard Kudlak. Cette petite marginalité protège, finalement. Pour rester honnête et vivant."
Parmi les pionniers du nouveau cirque, on croise toujours Igor, Branlo, Bartabas et quelques autres, pas loin de Bernard Kudlak, son frère Pierre, et leurs amis. Si le succès populaire les hisse toujours en haut de l’affiche, le quotidien est plus délicat. Le Cirque Plume vit sur ses recettes propres a hauteur de 87% et à raison d’environ 110 représentations par an. "Nous avançons sur un fil fragile mais stable, s’amuse Kudlak. Je préfère parfois ne pas penser au lendemain et faire ma vie comme je l’entends."
À la fin de "Tempus fugit ?", Bernard Kudlak offre un cadeau au public. Une installation pendulaire de boules de verre qui dessine des entrelacs à l’infini dans l’obscurité. Une splendeur horlogère pour rendre hommage à sa région de Franche-Comté, où il habite toujours.

Rosita BOISSEAU