LE CIRQUE PLUME nous vient de France, mais en réalité, il est originaire d’un pays encore plus éloigné et plus beau, le pays magique de l’imaginaire et de la poésie en soi. Un visiteur si rare, mais reconnaissable au premier coup d’œil lorsqu’il apparaît parmi nous.
La réputation qui l’a précédé nous a fait savoir que le Cirque Plume n’est pas un vrai cirque, et c’est bien la réalité. C’est sans doute du cirque traditionnel par son spectacle - avec l’homme-serpent, l’artiste du trapèze, le clown qui tombe sur son derrière - mais c’est quelque chose d’autre que de simples numéros. L’objectif n’est pas de présenter des solos éblouissants, par lesquels des artistes virtuoses dans leur métier nous font mourir de peur. Mais l’objectif est d’apporter une plénitude dans laquelle toutes les forces se conjuguent mutuellement, se glissent dans des rôles et s’en défont, et créent un ensemble rythmique.
La musique joue un rôle essentiel, tous les artistes peuvent indiscutablement se servir d’un instrument ou deux, chanter une chanson ou trois. Une musique qui adopte des rythmes insistants, une chanson qui prend des accents mélancoliques. Au milieu des tours de passe-passe, on perçoit le désespoir éternel d’un saxophone inconsolable.
Cela fait penser à un opéra. Et ça évoque un théâtre, composé avec élégance, du théâtre qui culmine dans la scène finale, où de petits spectacles se déroulant dans tous les coins de la scène sont combinés en un spectacle plus vaste.
MAIS au début, on voit arriver des femmes traînant les pieds, tandis que de vastes draps ou nappes, ou voiles, se déroulent jusqu’au sol, puis remontent jusqu’au trapèze, comme une fanfare resplendissante, qui dissimule et dévoile alternativement une danseuse, comme une chimère, comme une étoile. Puis elle rencontre les hommes qui portent des lampes sur leur front, comme des lampes brillant dans les ténèbres. Un clown change de sexe et flotte en l’air comme une femme, une femme se transforme en momie et adopte le nez rouge du clown. Un homme joue avec son ombre, poésie grotesque et raffinée. Une femme danse sur la même corde qu’une marionnette, poésie absurde et édifiante.
Puis on assiste à un grand spectacle qui tourne autour d’un piano très vivant, d’un pianiste affalé, et d’une dame sombre qui chante. C’est une charmante facétie, quasiment surréaliste. Et d’autre part, il y a l’homme qui devient un nain, le célèbre nain de cirque, et il y a le serpent qui tente Adam et Eve, sans compter bon nombre d’autres inventions.
Quelques-unes d’entre elles sont un peu faibles et tirées par les cheveux, surtout dans la première partie du spectacle. Mais le metteur en scène et créateur Bernard Kudlak a trouvé un cadre et un style dans lesquels on peut intégrer pratiquement n’importe quoi. Lors de la première dans notre pays, un artiste de la bicyclette a dû être remplacé par un acrobate par suite d’une déplorable chute. Ceci en dit long sur l’originalité du Cirque Plume : malgré ce changement de dernière minute, la représentation a donné l’impression d’une cohérence judicieusement agencée.
Le petit M, cinq ans, qui m’accompagnait, a paisiblement dormi pendant la dernière demi-heure, mais c’est ce qu’il a l’habitude de faire durant les soirées au cirque. Il faut reconnaître que pour vraiment apprécier ce spectacle, les enfants devraient avoir plus de dix ans. Il flirte d’un air entendu et avec une ironie de soi avec le genre "cirque", mais uniquement pour y intégrer tous les moyens d’action du théâtre dans une version miniature d’un art global, non pas à grande échelle et de manière grandiloquente, mais de façon épurée et captivante.