Sud Ouest9 janvier 2016
Plume, cirque durable
Depuis trente-deux ans, les membres du Cirque Plume ont changé, mais pas l’esprit, empreint de poésie.
MÉRIGNAC Le Cirque Plume est ce week-end au Pin Galant avec son spectacle « Tempus fugit ? », sans nostalgie, mais avec la conscience du temps qui passe
Le temps, ils connaissent. Les années qui passent, ils en ont vu défiler. Trente exactement : trente ans depuis qu’une troupe disparate voyait le jour, portée par un enthousiasme un peu foutraque qu’ils investissaient dans le cirque parce que c’était alors l’expression artistique la plus décriée, la plus ringardisée.
D’ailleurs, ce n’était pas alors une expression artistique à part entière puisqu’on lui déniait cette qualité et le Cirque Plume a grandement contribué à lui accorder ce galon tant recherché.
Exploit véritable
Depuis, les autres cirques de ces années 80 pionnières de la nouvelle discipline ont baissé le rideau, les Achaos, Aligre, Baroque et consorts constituent la précieuse armoire aux souvenirs de ceux qui ont découvert le cirque contemporain dans ces temps d’innovation. Seul Plume a continué à voler.
« Tempus fugit ? » est justement l’arpentage pas très précis de ce parcours, une sorte de bilan pas totalement exact de l’exploit véritable : être un survivant d’une époque que l’on se plaît à imaginer plus héroïque.
Jamais avare d’une poétisation de la réalité, Bernard Kudlak, l’un des huit cofondateurs, se livre à un décryptage de ce « temps qui fuit » que l’on trouve souvent sur les cadrans solaires et symbolise l’avancée inexorable vers une fin redoutée.
Pour lui, la réponse est dans la question : le point d’interrogation met justement le doute sur cette fuite du temps puisque « le temps du cirque est immédiat. C’est donc un temps éternel. »
Un temps qui suspend son vol plus sûrement que les trapézistes, même s’il n’a pas totalement épargné les cofondateurs qui ne sont plus en piste désormais, remplacés par une nouvelle génération dont une bonne partie n’était pas née à l’époque de la fondation du Cirque Plume. Mais qui maintient l’esprit…du moins dans la volonté de faire un cirque qui s’adresse à tous, un cirque par essence familial qui, s’il entretient une nostalgie d’anniversaire avec « Tempus fugit ? », parle d’une nostalgie des années 80, lorsqu’il était encore possible d’émerveiller sans cynisme et sans second degré. Accumulation de belles images léchées, ce dixième spectacle enchaîne des numéros où rien ne dépasse, que l’on pourrait retrouver dans des cabarets télévisuels. Côté technique, c’est du lourd, du très lourd, tellement maîtrisé que l’on ne sent pas la sueur qui va souvent de pair avec le cirque. Virtuose dans le geste chorégraphié, dans les lumières soyeuses, Plume n’a plus rien du bricolage d’antan même s’il en conserve la volonté de modestie avec des moyens décuplés. On n’innove plus, on poétise toujours et l’on garde surtout à l’esprit une chose essentielle : faire plaisir à tous au-delà des habitués ?
Plume est désormais un classique et il l’assume autant qu’il l’affirme.
Jean-Luc Eluard