L’Est Républicain17 octobre 2014
Le Cirque Plume retient le temps
Le chapiteau est monté à la Villette jusqu’au 28 décembre. Entrez !
Trente ans, l’âge mûr, mais Plume peut toujours compter sur l’élasticité des artistes et des cœurs. 30 ans de spectacle vivant, c’est l’occasion d’un regard dans le rétroviseur. Le temps fuit, c’est sûr, c’est dur. Et pour faire entrer sur la scène circassienne ce balancement entre le tic et le tac, il suffit d’une plume, puis deux, puis d’autres : le piano descend des airs, et avec lui Benoit Shick, le pianiste, une voix. Le chemin s’ouvre là entre apesanteur et chaos.
Plume rappelle, ses racines, du côté de Valentigney, de Beaulieu-Mandeure et les cycles Peugeot. Plume adresse un clin d’œil aux spectacles passés. Que sa terre soit celle de Lip, de Fourrier, de Proudhon, elle sert de ballon au clown, qui jongle avec la planète, l’ombre, la lumière. Le sol tremble et gronde toujours sous les pavés. Vélo, Pierrot, nageur, danseurs de tango, manifestants, joueuse de marelle, les artistes vont à vive allure, du passé au présent. Chez Plume, la partition vole et le violoniste aussi. Plume muscle les numéros, équilibristes, danse, acrobatie, trapèze, fil, prouesses physiques et délicatesse de faire croire à la facilité du geste. Il y a l’âme de Plume, cette volonté farouche de poésie, et la complicité puissante de ceux qui ont rejoint les « historiques ». Eux renvoient en écho l’énergie et l’humour, c’est tonique et joyeux et léger et pas que…
Abécédaire du cirque
Bernard Kudlak donne aux mots d’ouvrir des portes sur l’histoire de Plume, 26 entrées possible
Tout était écrit, la preuve par a + b
L’ABÉCÉDAIRE a vocation à enseigner. Objet de collection, support à broder, genre littéraire, Bernard Kudlak, cocréateur et directeur artistique du cirque, aurait pu choisir l’une ou l’autre des missions de l’abécédaire en prétexte à ses jeux de mots. Il a surtout pris, avec le genre, l’objectif et le ton, beaucoup de libertés. 30 ans d’aventure Il ne raconte pas, dans ce livre, 30 ans de l’histoire du Cirque Plume, mais offre d’entrer dans cette aventure par autant de portes dérobées que l’alphabet propose de lettres. Voir davantage même, puisque l’auteur, multiplie à l’envi les « Ah », les « Heu »… Aux mots de décider de la construction d’ensemble. « La bibliothèque nationale a proposé de conserver les archives du Cirque Plume, je me suis donc plongé dans les carnets, les documents, tous les dossiers… »
Plus qu’une apnée, le plongeon est une respiration, qui offre au temps de repasser. Plus qu’une aspiration vers le passé, le plongeon est un souffle sur le passage. D’hier à demain. Tempus Fugit !
Troublante acuité que ces bribes sorties en l’état des archives. Elles sont datées en signe de probité. Et attestent de la pertinence et de la cohérence de l’épopée.
« C’est vrai il y a 30 ans, tout a été écrit, de ce que nous voulions être, de ce que nous allions être », admet, heureux, Bernard Kudlak. L’exercice pourtant n’avait pas vocation à justification. La mise en perspective révèle ces piliers qui firent tenir le chapiteau. La nature est de ceux-là. Présence constante, de décor elle devient un battement du cœur du cirque plume. « Dans nos choix, dans nos amours, dans notre philosophie, notre mode de vie, la nature est partout, depuis le début. Dans son aspect spirituel certes, (rapport à l’arbre, à l’herbe…), mais elle est aussi pour nous un souhait politique : la société doit la protéger, se garder du culte de l’argent et de la cupidité. On pille les océans, 40 % des espèces animales ont disparu en 40 ans. En 74 déjà René Dumont posait les choses. Certes il existe des résistances, et l’art peut soit, être dirigé vers le chaos et nous préparer à accepter la laideur du monde. Soit, l’art peut sauver le monde. Plume a toujours remis la beauté et la poésie au centre du monde. Nous étions des babas cool un peu rêveurs, mais nous nous sommes confrontés au monde depuis le début, en remontant nos manches pour pousser les caravanes dans la neige. »
Le temps d’abattre les montagnes est passé, vient le temps des passerelles, du passage, des transmissions. L’heure est à l’automne, et l’abécédaire signé Bernard Kudlak donne, de Plume, les meilleures feuilles.
Catherine CHAILLET