L’Humanité Dimanche23 octobre 2014
ô, vol, suspends ton temps...
Depuis trente ans déjà, la compagnie de Besançon dépoussière les spectacles sous chapiteau. Pour fêter ça, elle installe sa dixième création, « Tempus Fugit ? » (|le temps fuit), au parc de la Villette, à Paris jusqu’au 28 décembre. Un enchantement visuel et sonore.
SPECTACLE ANNIVERSAIRE
Et si avoir trente ans était l’occasion pour le Cirque Plume de s’interroger sur le temps ? Le titre « Tempus fugit ? une ballade sur le chemin perdu » apparaît si énigmatique que Bernard Kudlak, son metteur en scène, a jugé bon de livrer ne notice d’explication. Les latinistes reconnaissent, dans l’expression « le temps fuit », une indication sur des« cadrans solaires et à l’entrée de certains cimetières, » manière ironique de parler de la pluie, du beau temps et des chrysanthèmes pour un spectacle, véritable éloge de la vie. Quant à la ballade, elle désigne non pas la promenade, de celle qui s’écrit avec un seul l, mais « un poème », une définition qui sied parfaitement à la démarche du Cirque Plume, plongé dans l’onirisme du réel plutôt que dans la virtualité du 3.0.
« REGION UN PEU SAUVAGE »
« C`est une aventure humaine, collective. artistique, de rencontres avec un public », témoigne Kudlak à propos du trentième anniversaire de la compagnie circassienne, actuellement célébré à la Villette. « Cela représente la réussite d`un projet quasi politique : mettre sur un même banc toutes les classes sociales et les classes d’âges pour des spectacles exigeants. Le cirque le permettait. Culturellement parlant, il est plus facile de le faire avec du cirque contemporain. Ces 30 ans, c`est le plaisir de voir qu`on a vraiment réussi sans jamais rien sacrifier à l`artistique. C`est une sorte de ?erté ». Plume se nourrit en effet d`idéaux. « Nous sommes de Franche-Comté, une région encore un peu sauvage de forêts, de nature et d`utopies. Victor Considérant qui a créé le premier théâtre moderne à Besançon avec une fosse d`orchestre était franc-comtois tout comme Proudhon, Courbet et Fourier qui étaient de Besançon. C`est en Franche-Comté qu’ont été créées les premières banques mutuelles, les coopératives paysannes et fruitières ou celles ouvrières de Saint-Claude. C’est un pays qui, par nécessité d’une vie assez dure dans le froid de la montagne, a été dans cette utopie. Mais la véritable raison n’est pas la terre ou la forme des pierres, mais la très longue frontière suisse qui fait qu’on peut se sauver des gendarmes en moins d’une heure. »
ART POPULAIRE AU SOMMET
Mais au-delà du sens, « Tempus Fugit ? » s’apprécie d`abord comme une déferlante visuelle et musicale, portée par 13 artistes. Plume synthétise à merveille les disciplines circassiennes. Des musiciens côtoient des acrobates, des jongleurs, des funambules, des clowns et des danseurs. Tous ont en commun d`être des comédiens remarquables. À voir les réactions enthousiastes des gamins, les rires se jouer des barrières sociales et générationnelles, on se dit que le pari est effectivement réussi. La conscience politique n’empêche pas le divertissement. « Je voulais avoir un cirque qui ait les mêmes possibilités qu`un grand cirque classique. Notre but était la rencontre d`un public avec la troupe. Nos décisions étaient ramenées à ce principe fondateur. Penser ce qu`on était nous a beaucoup aidés. ». Si Plume n`a pas réinventé le cirque, il porte cet art populaire à son sommet. En s’appuyant sur la force de son collectif, Plume est devenu grand.
Michaël MELINARD