À la fin, plus rien n’est à sa place. On se retrouve parmi des femmes qui se rasent, des gens qui balayent, les pieds collés au plafond. Il y en a même un qui sort la tête de son hamac pour vomir. Et tout en haut, presque dans la coupole du chapiteau, quelqu’un joue du violoncelle. Quoi d’autre encore ? Les gens deviennent des instruments. Les instruments deviennent des mains, des mains d’homme. Les voiles deviennent des cordes, les cordes, des filets, les habits, des fantômes. Les ombres deviennent des amoureux, les amoureux, des ombres. Voulez-vous d’autres détails ?
Mais commençons par le commencement : l’homme et la femme, Adam et Eve, la pomme. Si nous définissons un thème travaillé par la troupe française du Cirque Plume, disons que c’est la rencontre des sexes, le jeu de l’Amour. Ainsi se font face les hommes et les femmes, parées de tuba, de trompette, de percussions. Ici une fanfare d’hommes, là-bas , une bande de femmes.
Boum Ba la Boum ... Mais qui c’est celui-là ? Attention, les premières et tendres émotions arrivent.
Tuuuut. Un homme passe. En fait, tout se déroule en douceur. La femme montre ce qu’elle a. L’homme montre ce qu’il sait faire. Il transforme une cigarette en fleur ; et la femme préfère - qui l’eut cru ? - la cigarette. Finalement, l’homme se retrouve dans des habits de femme. Mais qui suis-je ?
"L’harmonie est-elle municipale ? est le titre de la dernière création du Cirque Plume, jouée en première mondiale au Tollwood Festival et beaucoup applaudie. Passées les premières minutes, on sent déjà qu’aucune étiquette ne convient au Cirque Plume. Ce n’est pas du cirque, ce n’est pas de l’acrobatie, ce n’est pas du théâtre, ce n’est pas le souk, et pourtant, c’est un peu de tout cela. Le spectacle est en fait une œuvre d’art complète, à deux doigts de verser dans le kitsch pur et dur, mais qui se rattrape toujours grâce à l’ironie et au savoir-faire. Il n’y aurait que quelques numéros d’acrobatie qui seraient exceptionnels, s’il n’y avait pas la chorégraphie, le collage parfait des couleurs, de la musique, la performance et l’agilité, s’il n’y avait pas l’histoire qui nous est contée au fil des tableaux.
Ce sont avant tout ces petites choses, ces petites histoires qui font du moindre changement de décor un moment fort, et cette façon magique de jouer qui donne toute sa spécificité au Cirque Plume. On ne peut s’empêcher de penser que chaque personne impliquée dans le spectacle s’amuse dans son travail, et qu’elle glisserait volontiers un gag qui lui viendrait subitement à l’esprit . Zorro débarque et dompte au fouet un cycliste. Adam et Eve s’embrassent pendant le changement de décor. Le Penseur de Rodin apparaît, et même le Serpent a droit à une courte apparition. Chacun sait tout faire, artiste, clown, musicien, régisseur plateau. On ne s’étonnera donc pas que le tout paraisse fou. On est un peu décontenancé quand on arrive à des scènes merveilleuses comme celle du jeu d’ombres, dont on ne dévoilera pas le contenu, car vous devez le voir de vos propres yeux. Dans des moments pareils, tout retrouve sa place.
Légende photo : RENVERSANT : au Cirque Plume, le trampoline appartient aussi au cycliste et au guitariste.