La Libre (Belgique)1er février 2016
« Tempus fugit ? », une vraie ballade circassienne
Scènes La dixième création du Cirque Plume visible à Namur alterne lenteur et mouvement.
Critique Laurence Bertels
Le sablier vient le rappeler d’emblée. Le métronome, celui du précédent « Plic Ploc » confirme la sentence. Tempus fugit. Oui, le temps file. Trente ans déjà que cette Plume dans le vent a révolutionné le cirque en portant un autre regard, un autre tempo, une autre poésie sur le temps suspendu, ce chemin perdu selon les horlogers, cet espace arrêté entre le repos et la chute, le tic et le tac.
Entre lenteur et mouvement
« Tempus fugit ? Une ballade sur le chemin perdu », tout était déjà dans le titre de cette dixième création et le Cirque Plume alterne, avec délicatesse, lenteur et mouvement, longueurs et virtuosité, force et fragilité, temps mort et vivant. Un spectacle imparfait et tellement beau qui passe comme un souffle chaleureux que l’on voudrait garder au creux de la main. Ou sous le coude pour les jours de maigre.
Fondée en 1984 par une bande de joyeux drilles dont les frères Kudlak toujours à la barre, la compagnie garde le cap et son âme comme promis. (Lire « La Libre » du 20/1/2015) En trente ans de créations, de tournées, d’envolées, Plume a connu beaucoup de bonheurs.
Quelques malheurs aussi dont le départ du musicien Robert Miny qui a choisi de quitter le chemin perdu. Un drame qui a rendu douloureuse la nouvelle création du cirque mais dont la lumière a bel et bien surgi.
Joyeuse, revigorante, égrenée de poussières de nostalgie, « Tempus fugit ? », une vraie ballade circassienne, assure à fond, côté musical. Chapeau bas au musicien Benoît Schick qui a repris la relève avec maestro et qui, debout au piano suspendu, donne, d’une voix rauque pénétrante, le « la « d’une partition enlevée, équilibrée, envoûtante, blues, rock et jazzy pour rythmer le temps toujours et nous balader, d’un coup d’aile, cette fois, de part et d’autre de la scène.
Fidèle à sa disposition frontale, même lorsqu’il joue sous chapiteau, afin d’ajouter à l’immédiateté du cirque, le temps de la narration théâtrale, Plume multiplie, sans en abuser, les effets scéniques et s’ouvre sur un fameux fatras, un décor de bric et de broc, un esprit vivifiant de bricolage, un chaos organisé rythmé par le trombone à coulisse, le steel band ou le saxo, tous festifs.
Trente ans déjà que cette Plume dans le vent a révolutionné le cirque en portant un autre regard, un autre tempo, une autre poésie sur le temps suspendu.
Surprise finale
Après ce début survolté, temps de calme et de répit, photo de famille pour ne pas oublier d’où l’on vient.
Suivront, en ombre derrière les draps, des instants plus épurés, des illusions d’optique telles celle d’une funambule, délicate Molly Saudek, qui circule entre deux tours new-yorkaises ou cette boule rouge qui s’envole, grossit, rétrécit, lune orangée à cueillir ou nez de clown à croquer. Un clown. Mick Holsbeke, drôle et décalé, anglo-saxon en diable, un poil toujours à côté de la piste. Juste ce qu’il faut pour admirer l’envol à la Chagall du violoniste ou l’enivrante roue Cyr de Maxime Pythoud, bien connu des spectateurs belges puisqu’il a été formé à l Esac (Ecole supérieure des arts du cirque).
Jusqu’au bout, l’alternance sera respectée grâce à la surprise ingénieuse et lumineuse du chef qu’on ne dévoilera pas ici. Mais dont le halo guidera nos pas les nuits d’hiver.