France 3 Pays de la Loire5 avril 2014
Rezé : rencontre avec Bernard Kudlak, co-fondateur du Cirque Plume
Interview réalisée le 4 avril 2014 par Eric GUILLAUD
Publiée le 05/04/2014
A quelques heures du début des représentations du Cirque Plume à Rezé, l’un de ses fondateurs, Bernard Kudlak, nous a reçus sous l’immense chapiteau pour partager comme il le dit si bien à propos des spectacles un moment d’éternité. Interview !
22 000 personnes découvriront d’ici le 30 avril à Rezé le nouveau spectacle du Cirque Plume intitulé "Tempus Fugit ? une ballade sur le chemin perdu". C’est beaucoup mais le Cirque Plume en trente années d’existence a su non seulement se faire un nom dans le monde du spectacle vivant mais aussi initier et accompagner le renouvellement d’un art, le cirque.
Pouvez-vous nous présenter en quelques mots ce nouveau spectacle ?
Bernard Kudlak. Tempus Fugit a été spécialement conçu pour fêter les 30 ans du Cirque Plume. C’est précisément en avril 1984 que nous avons déposé à la préfecture le nom de l’association Cirque Plume. La même année, nous faisions notre première tournée et déjà à l’époque nous étions venus dans le coin, à Batz-sur-Mer, c’était en juillet 1985. Pour en revenir au spectacle, l’idée était de travailler sur le temps qui passe, de proposer une espèce de quintessence de Plume avec quelques pépites de ce qu’on avait fait. Ce spectacle ramène à l’esprit Plume, profondément, avec le travail d’artistes d’aujourd’hui. Et ce qui est aussi signifiant pour nous, c’est que précisément ces artistes embauchés pour le spectacle sont tous nés après que le Cirque Plume ait été créé. C’est la première fois que ça se présente et c’est fort dans une carrière.
Que pourrons-nous y voir et entendre ?
B.K. Il y a une particularité extrêmement triste, c’est que le compositeur des musiques du Cirque Plume est décédé il y a maintenant deux ans. Tempus a été créé un an après cet événement et c’est Benoît Schick, qui était son suppléant, qui a créé une magnifique musique, à la fois différente et en totale continuité des musiques de Robert. C’est étonnant ! Il y a donc tous ces éléments-là dans le spectacle, un peu la tristesse, de la nostalgie peut-être, mais aussi comme d’habitude, du rire, beaucoup de rire et de la poésie. On a l’esprit du Cirque Plume qu’est le partage, qu’est le temps, on a toujours dit qu’on travaillait dans le temps présent. Le Cirque Plume, c’est un spectacle de l’instant et l’instant c’est l’éternité, donc on propose aux gens de passer un moment d’éternité avec nous.
Vous venez de fêter vos 30 ans, vous l’auriez imaginé aux débuts ?
B.K. C’est un peu étonnant parce que rien n’indiquait ni que le cirque connaîtrait un renouveau, ni que nous arriverions à faire ça, pourtant lorsque j’ai dit à mes petits camarades en janvier 1984 que nous allions monter un cirque et acheter des caravanes, je leur ai confié que dans dix ans on serait un des établissements prospères de cirque nouveau en Europe. Je savais que ça marcherait. J’en étais convaincu. Je sentais qu’on avait ouvert une malle aux trésors, qu’il y avait de magnifiques choses à faire à développer, à chercher dans le domaine du cirque. Ça correspondait à ce qu’il fallait qu’on fasse, à ce qu’on était.
Effectivement, vous ne saviez pas que le cirque connaîtrait un renouveau, et c’est vous qui avez été à la base de ce renouveau...
B.K. Oui c’est ça. On a monté un cirque sans un rond, sans avoir même fait de cirque ou très peu, sans avoir fait d’école, je pense qu’on venait d’ailleurs, de la littérature, de Baudelaire, Victor Hugo, Molière, Henri Miller, le Capitaine Fracas, du théâtre avec Brecht, des arts plastiques et de la politique. On partait aussi avec l’idée de trouver un chemin un peu différent de ce qu’on nous proposait à l’époque, un ailleurs ensoleillé si possible. Le cirque était génial pour ça, c’était populaire donc politique. Pourquoi ferait-on de l’art uniquement pour les bourgeois, pour ceux qui ont des ronds, ceux qui ont été bons à l’école ? Ici, au Cirque Plume, on reçoit tout le monde. C’était des envies un peu égalitaires, un peu comme Jean Vilar. Et puis on rêvait de chemins buissonniers...
Hier, vous rêviez d’être à la marge mais aujourd’hui vous êtes une institution ?
B.K. Oui... sauf que nous ne sommes pas une institution dans le sens financier puisqu’on s’autofinance à 87%. Et d’un point de vue sécurité, nous ne sommes pas non plus une institution, la fragilité est toujours là ! Mais on a fidélisé des générations de spectateurs qui viennent encore nous voir aujourd’hui avec leurs enfants, leurs adolescents. On a toutes les classes d’âge, toutes les classes sociales, et ça c’était le pari il y a 30 ans. Et ce pari, on l’a réussi ! Parce que le cirque permet ça. C’eut été plus difficile de le faire avec du théâtre. Je crois vraiment que le cirque partage l’inconscient. C’est à dire qu’au cirque, il y a la chute. On partage la peur, le rire, des émotions immédiates. Et l’inconscient d’un agrégé en littérature ancienne est le même que celui d’une femme chauffeur de bus ou qu’un maçon. Ou peut-être même que l’inconscient des gens qui ont peint les grottes de Lascaux. Le cirque c’est un endroit qui nous intéressait pour partager notre commune condition humaine, trouver un langage artistique le plus éloigné possible des massacres et des horreurs du XXe siècle. C’est comme si il y avait eu une injonction : "on a pas pu faire bien, éviter les totalitarismes, les guerres, alors faites autre chose". En tout cas, nous, nous avons trouvé un chemin pour partager des émotions, de la beauté, de la joie aussi...
En 30 ans la société française a quand même bien évolué. Est ce qu’on crée un spectacle aujourd’hui comme hier ?
B.K. A vrai dire... oui.
Pourquoi ? Le cirque est éternel ?
B.K. Non, le cirque n’est pas éternel mais c’est une histoire de pensée. C’est à dire que pour moi la mode est prise dans le temps. Leopardi pensait que la mode était la mère de la mort. Si vous lisez l’Illiade aujourd’hui, la voix qui en sort est intacte, c’est d’une modernité totale. La prétention des vivants c’est d’être au dessus, ailleurs, c’est ça la mode c’est d’être mieux que les autres. Pour moi l’art n’a aucun progrès. Vous allez dans la grotte de Chauvet ou la grotte de Lascaux, il y a tout dedans, toute la peinture du XXe siècle, il y a même Miro dans des coins, il y a rien qui a changé en 40000 ans. Alors, la société n’est pas la même mais dans le fond ce qu’on partage avec les gens c’est un temps d’éternité et celui là pour moi est toujours pertinent.
C’est ce qui vous anime ?
B.K. Ce qui m’a animé, c’est le partage et probablement le fait de trouver un endroit qui appartient quand même à la culture et qu’il est possible de partager avec des gens qui n’ont pas été socialement au bon endroit pour bénéficier justement de cette culture. Pour moi ce qui est très précieux, c’est que tout le monde puisse venir au même endroit en même temps, l’entre-soi est une chose détestable. Au Cirque Plume, tout le monde peut venir.
Vous auriez vingt ans aujourd’hui, recommenceriez-vous de la même manière ?
B.K. Probablement pas. Il y a 30 ans, on a fait du cirque parce qu’on cherchait à être ailleurs. Aujourd’hui le cirque est une Institution. Donc j’irai certainement chercher un autre endroit, un autre art.
Que représente le nouveau cirque pour vous aujourd’hui ?
B.K. L’apprentissage des arts du crique s’est développé partout et a permis l’éclosion de beaucoup de compagnies, de beaucoup de pratiques, de chapiteaux, de formes plus officielles ou plus élitistes aussi. Et ça c’est magique. Mais il y a un danger. Le cirque appartenant dorénavant à la culture, on peut lui demander de faire ce qu’on connaît déjà, de ne pas faire ce qu’on ne connaît pas. Alors peut être que finalement le cirque nouveau aujourd’hui serait de faire ce que la culture n’attend pas !
Qu’est ce qu’on peut vous souhaiter pour les 30 prochaines années ?
B.K. Vieillir serait la réponse rituelle. Ce que je peux vous dire, c’est qu’on va finir notre aventure. Et bien la finir ! C’est à dire que le prochain spectacle sera le dernier. Il nous permettra d’aller dire au revoir à tout le monde et après on verra... Et si des gens viennent nous parler à l’oreille, alors on les écoutera peut-être. On a vécu une belle aventure, on a donné du goût à plein de jeunes gens qui à leur tour donneront du goût à d’autres. La chaîne est ininterrompue... Je souhaite qu’un établissement comme le nôtre puisse toujours exister car c’est la seule façon de réunir tout le monde. On a beaucoup réfléchi à la transmission et je pense que cette transmission on la prépare depuis le début. En faisant, on transmet, on donne envie, on donne du plaisir...
Le Cirque Plume pourrait donc connaître une autre aventure ?
B.K. Une aventure va s’arrêter, une autre se poursuivra. Mais ce n’est pas Pinder, on ne va pas faire de commerce avec ça. Et entre Tempus Fugit et le prochain spectacle, ça nous emmènera quand même aux alentours de 2020/2021...
Merci Bernard Kudlak