Couleur Cirque1er novembre 2014
Plume et soleil
Facétieux, gouailleurs, certains humoristes inspirés réduisent le cirque contemporain à du « cirque comptant pour rien ».
Drôle mais injuste, tant foisonnent les chapiteaux de « nouveau » cirque sous lesquels on passe de mémorables soirées.
Caen. Colline aux oiseaux. Octobre 2013. Cirque Plume (Plume est actuellement à la Villette à Paris jusque fin décembre).
Prairie grasse, à deux pas du Mémorial, hors les murs du Théâtre de Caen. Chapiteau curieusement distordu, planté là, énorme, incongru. Jaune fané des toiles accusant le fil des années. Tracteurs routiers et fourgons sans autre fard que le logo de la compagnie. Banales caravanes de techniciens et artistes en tournée. Rien d’ostentatoire. On devine qu’ici, seul le spectacle importe.
Accueil sous tente-buffet. Pénombre équivoque, canalisant la foule en file d’attente sinueuse.
Intérieur du cirque à la forme et aux proportions inusitées. Scène et coulisses en occupent à peu près un tiers. Gigantesque gradin frontal de l000 places. Public, à l’esprit bon enfant, tassé sur les bancs de bois matelassés, oublieux du confort des scènes nationales. Echanges. Politesses. Silence...
« Ô temps, suspends ton vol ».
Une plume après l’autre vient peser sur le piano planant vers le sol, tandis qu’une boule de verre pendule comme le balancier d’une horloge.
Noir.
Voix rauque. Voix rock.
Sous le feu des « projos » de joyeux drilles envahissent la scène et musiquent à tout-va... Embarquement pour l heure 40 de bonheur.
Auteur et metteur en scène, Bernard Kudlak, avec la complicité de vétérans et d’une équipe rajeunie, a le don de créer l’univers particulier qui fait la marque de Plume. Plateau habité d’objets hétéroclites, ferraille, tissus et autres ficelles. Changements de décor orchestrés par des bricolos géniaux. Ombres chinoises et effets spéciaux : moments de poésie déjà présents dans les spectacles précédents.
Musique... Ah ! Quelle musique !... Compositions originales de Benoit Schick, oscillant, avec tendresse parfois, entre jazzy et pop. Tous les artistes, ou presque, jouent. Cuivres de parade, cordes sensibles, instruments excentriques, en osmose avec les prouesses visuelles.
Images. Délicieuses prestations d’acrobates féminines - grâce et muscle mêlés – au mât chinois, sur le fil, au trapèze. Ondulations oniriques d°immenses voilages. Deux machinistes en blouse : confidences émouvantes et drôles de l’ancien au jeunot. Envol du violoniste à la poursuite de sa partition. Corps à corps sensuel entre Maxime Pythoud et sa roue Cyr.
L’équilibriste Marie-Eve Dicaire faisant des pieds et des mains pour faire chanter les verres d’une forêt de vibraphones. A la toute fin, en rappel, splendide chorégraphie : chapelets de boules lumineuses, aériennes, qui s’entrelacent dans l’obscurité. Magique. A en rester baba tellement c’est beau.
Cette nouvelle création - la l0ème s’intitule « Tempus fugit ? une ballade sur le chemin perdu ».
Formule à priori énigmatique, résolue dès qu’on sait les origines franc-comtoises de la compagnie fondée il y a une trentaine d’années. Interrogation. Fuite des instants ? Temps qui passe ? Les latinistes choisiront. Double jeu entre Ballade et balade avec, dans le dossier de presse, deux ailes à ballade (joli, non ?). Enfin, savoir qu’en horlogerie « le chemin perdu » est l’espace entre tic et tac.
Ceci posé, le lien entre le titre et les divers tableaux ne semble pas toujours évident. Reste l’essentiel : un spectacle ludique et savoureux, tour à tour baroque, léger, loufoque, tendre, inventif et poétique.
Les puristes du cirque traditionnel n`y trouveront pas leur compte.
Pourtant... Voilà 18 acteurs, musiciens, régisseurs qui concourent humblement, merveilleusement, â rendre heureux tout un chacun.
Pas étonnant qu’au salut final ils soient collectivement acclamés par un public euphorique.
Jean-Yves RENOUX