Un entretien avec Bernard Kudlak
Par Isabelle Labarre dans Ouest France (24 octobre 2010)
Cirque Plume, épopée d’une fanfare d’utopistes
La compagnie a dressé son chapiteau à Rezé pour trois semaines de représentations. Rencontre avec son fondateur, Bernard Kudlak, devenu circassien par les mots.
ll pleut sur Rezé. Le vent s’engouffre sous la bâche jaune du chapiteau, dressé sur la place du Pays-de-Retz, au coeur du quartier populaire du Château. Une dizaine d’habitants ont pris place sous les lampions, autour de Bernard Kudlak. Le fondateur du Cirque Plume vient à Rezé pour la quatrième fois, et, d’ici Ie 14 novembre, 21 000 spectateurs verront son dernier spectacle, "L’Atelier du peintre". A quelques heures de la troisième représentation, le circassien-chercheur répond aux questions en citant Pierre Bourdieu, et évoque la genèse de ce spectacle "un tout petit peu savant mais regardable par tout le monde".
Pourquoi la peinture ? " Il y a vingt-cinq ans, j’ai hésité entre faire du cirque et peindre. Depuis toujours, je suis branché arts plastiques et histoire de l’art. Pour créer le spectacle, je me suis remis à peindre. "
Enfant, Bernard Kudlak n’est jamais allé au cirque. "J’étais fils de prolo, mon père ouvrier chez Peugeot, et c’était pas pour nous. La première fois que j’y suis allé, c’était à Guérande. J’avais 23 ans, j’étais galochier à La Turballe. Mais ce qui m’a vraiment ouvert les yeux, c’est quand j’ai vu Andrei Roublev, de Tarkovski. J’ai été bouleversé par ce film. "
Elève a l’école de Jean Jaurès et de Victor Hugo, "avec I’interdiction de faire partie des exploiteurs mais aussi une grande liberté de se projeter", Bernard Kudlak ne reste pas longtemps sur les bancs de son école de chimie. En 1984, le Franc-comtois fonde le Cirque Plume. Une utopie sous chapiteau. "Notre héritage, c’était la Shoah, le Chemin des Dames, la guerre du Vietnam. Qu’est-ce qu’on pouvait faire qui ne ressemble pas a cela ? On était un groupe de musiciens littéraires, une fanfare de saltimbanques, plus que des artistes physiquement circassiens. Et moi, j’avais la " névrose de classe ", obsédé par cette idée de mettre côte à côte, sous un chapiteau, l’agrégé de maths et le maçon. "
Vingt-six ans plus tard, Plume n’a pas pris de plomb dans l’aile. ·"On a tenu longtemps parce qu’on continue à se parler. On tient aussi parce qu’on est des ruraux. On habite à la campagne. Moi, je fais mon potager et mon chef technique a une vigne. On ne fréquente pas les salons." Ils durent parce qu’ils nous ressemblent, poursuit Marie, 59 ans. Sous le chapiteau ce samedi matin, elle rencontre Bernard Kudlak pour Ia première fois. ·"Aujourd’hui, c’est si difficile d’impliquer les gens dans autre chose que la peur. En voyant Ie Cirque Plume, on en tire autre chose qu’un spectacle. Et il n’y pas de meilleur moment qu’aujourd’hui pour accéder à cela."