Un entretien avec Bernard Kudlak
Par Caroline Chatelet dans le Bien Public (11 décembre 2007)
Depuis mercredi, et ce jusqu’au 15 décembre le Cirque Plume vient arroser Dijon de sa poésie.
Arroser oui, car le spectacle accueilli, Plic Ploc défie une bonne partie des lois de la représentation !
Rencontre avec Bernard Kudiak, directeur artistique de la compagnie.
IMAGINEZ le duo Dijon et l’ABC collaborant pour accueillir sur la prestigieuse scène de l’Auditorium un spectacle où l’eau en est le fil rouge. Ça donne Plic Ploc, 2 heures d’images sublimes et oniriques à souhait, où ça coule, ça fuit, ça dégouline, ça éclabousse et ça jaillit dans tous les coins de la scène. Une vague de poésie et d’images ciselées, comme seul le Cirque Plume sait en construire.
Vous êtes déjà venus plusieurs fois à Dijon, à quand remonte la dernière fois ?
Bernard Kudlak : Nous avons présenté L’Harmonie est-elle municipale ? ; et Mélanges, opéra Plume en 2001 doit être le troisième spectacle qu’on ait présenté ici, et probablement le dernier. Sinon, nous tournons dans toute l’Europe et nous nous baladons un peu. Pour Plic Ploc, par exemple, nous l’avons présenté également à São Paulo, au Brésil.
Comment est né le spectacle de Plic Ploc ?
B.K. : C’était en 2001. Nous jouions à New York, nous avions été invités par le Lincoln Center Festival. On avait monté notre chapiteau et il était climatisé. En même temps, à l’époque, George W. Bush, qui venait d’arriver au pouvoir, refusait de ratifier le protocole de Kyoto, et il ne l’a toujours pas signé d’ailleurs ! En regardant le chapiteau, je me suis dit : "si le climatiseur était un climatiseur à eau, il pourrait se mettre à fuir et une goutte d’eau puis des cataractes tomberaient au milieu du spectacle…" Bref à partir de l’idée d’une goutte d’eau qui tombe sur une cymbale Plic Ploc est né.
Vos spectacles naissent-ils souvent comme cela, à partir d’une simple idée ?
B.K. : oui, tout le temps. Il y a toujours une idée, une envie. C’est un fil rouge qui me permet d’être toujours cohérent avec ce que je vais faire et ce fil rouge disparaît sous le spectacle. Je ne veux pas raconter une histoire, je mets en situation.
Ce spectacle, s’il est très poétique, naît pourtant d’une prise de conscience d’une situation paradoxale et révoltante. Comment l’expliquez-vous ?
B.K. : Tout naît de prise de conscience. On raconte ce qui est une petite catastrophe dans un théâtre, parce qu’une fuite, c’est quand même embêtant. Et à partir de là, on va apprivoiser cette catastrophe et la transformer en élément poétique et marrant. L’eau, lorsqu’on travaille avec, c’est très drôle, c’est les "deux pieds dans la flaque", depuis l’âge de trois ans, on ne se remet pas de cette sensation.
Définiriez-vous le nom Plic Ploc comme étant à la fois enfantin et ludique ?
B.K. : L’eau est porteuse d’une beauté et d’une poésie absolue. C’est vital et sublime, on se rappelle tous la beauté de l’eau. Il y a quelque chose d’intra-utérin. C’est la lumière et c’était vraiment fait pour faire un spectacle…
Comment le spectacle s’est-il construit ?
B.K. : Une fois que je pense à une thématique, j’en parle tout de suite au compositeur des musiques. Et puis je commence à imaginer des choses. Je fais un travail de proposition d’improvisation aux artistes avec un certain nombre de matériaux. Nous commençons à rentrer dans la matière et cette matière nous la construisons ensemble.
S’agit-il à la fois d’élaborer des dispositifs et de laisser les artistes se les approprier avec leur art ?
B.K. : Absolument. On essaye de trouver des situations et on avance comme cela. En général, on se marre bien et les idées naissent de la matière. Dans le cirque, l’écriture se fait aussi physiquement. A côté de cela, je peux également imaginer des dispositifs scénographiques qui vont avec. Ce sont des allers-retours.
L’une des spécificités du cirque plume est de réunir de artisans de différents champs artistiques, pouvez-nous les citer ?
B.K. : Il y a une base de musique très importante comme d’habitude. S’il y a beaucoup de travail de technique de cirque dans ce spectacle, cela est fait en symbiose avec la thématique du spectacle. Presque toutes les disciplines du cirque sont présentes. Il y a beaucoup de clowns, mais pas au sens traditionnel du terme : l’eau nous amène à des situations de plus en plus burlesques. A l’intérieur de cela, l’eau nous donne des moments où on peut créer une expression poétique tout à fait particulière, avec des moments très originaux.
En quoi un spectacle du Cirque Plume est-il différent d’une narration traditionnelle ?
B.K. : Je pense que la narration traditionnelle, si on l’entend dans le sens d’une narration théâtrale ou littéraire, est peu compatible avec l’exercice du cirque. Le cirque est un exercice en temps immédiat et nos spectacles sont toujours construits autour d’un thème, d’un fil rouge très précis, mais à la manière d’un poème. C’est vraiment la résonance de scènes les unes avec les autres et avec les propositions musicales. C’est un travail d’inconscient à conscient.
Envisagez-vous de faire un spectacle avec une narration traditionnelle ?
B.K. : Pas avec le Cirque Plume, je pense que c’est une chose très particulière, qui pour l’instant n’est jamais très convaincante entre le cirque et la narration théâtrale. Roland Barthes l’a vu dans Mythologies. Il a noté la différence fondamentale entre le temps du théâtre et le temps du music-hall : il disait que le temps du music-hall c’est le temps de l’immédiat, tandis que celui du théâtre c’est celui de la narration, de l’épopée.
Selon vous, le cirque relève-t-il plus du music-hall que du théâtre ?
B.K. : Non, pas du tout ! Mais le cirque, comme le music-hall et la danse - certaines formes de danses - sont de l’ordre d’un temps immédiat. Par exemple, je ne vais pas raconter l’histoire d’un climatiseur qui fuit, ça n’aurait pas beaucoup d’intérêt. En revanche, la situation d’un spectacle interrompu par une goutte d’eau est extrêmement intéressante au cirque. Le temps d’un saut périlleux n’est pas raconté, il se fait.