Un entretien avec Bernard Kudlak
Par A-F.C, dans Chalon magazine (septembre 2006)
Le Cirque Plume, la fragilité au bout des ailes Le temps s’arrête, l’espace disparaît, le monde se repose tandis que le Cirque Plume allume ses lanternes… Du 3 au 8 octobre, la compagnie viendra présenter Plic Ploc, superbe création tout en couleurs, en équilibres, en parapluies, en amour à la plage, en chants de femmes et en joies d’hommes. Un spectacle coloré, profond, poétique, fragile, brouillon, précis… Comme la vie.
Interview de Bernard KudLak, directeur artistique du Cirque Plume
Le Cirque Plume s’affirme par une forte signature tissée au fil des années associée à un renouvellement des thèmes et des esthétiques. Comment définir vos créations ?
Un style s’est effectivement imposé depuis 20 ans : nous écrivons nos spectacles comme on écrit un poème. Un poème plein d’humour, sans narration mais tramé par un fil conducteur à l’intérieur duquel différents éléments rentrent en résonance avec l’inconscient des spectateurs. Nos spectacles portent toujours en eux des fulgurances poétiques qui provoquent l’étonnement et l’émotion, notamment par une simplicité dont la nature nous réveille. Une extrême simplicité, créatrice d’une émotion aussi forte que la vision d’une goutte d’eau nichée au creux d’une feuille, elle-même à la fois très fragile par une mort certaine toute proche et d’une grandeur indicible par toute la vie qu’elle contient. L’instant fragile permet l’ouverture des portes de l’imaginaire, et c’est bien vers cette fragilité que le Cirque Plume chemine.
La fragilité, l’échange, et ce désir du fond des temps, cette nostalgie d’idéal ?
Oui... le spectacle du Cirque Plume se nourrit d’échanges entre une bande d’humains debout sur des planches, en vol sur des cordes, en souffle sur des rayons de lumière, en invention sur des musiques ou en équilibre sur des plumes, sur un frêle poème qui surgit effectivement du fond des temps et dont la raison d’être serait de comprendre le mystère de la vie. L’univers musical est aussi très présent dans notre travail, la plupart des artistes de la compagnie étant musiciens. Ce mélange crée une symbiose, un état de trouble, une complicité accomplie dans la joie, gagnée par un travail d’improvisation collectif au sein duquel chacun a su déployer son imaginaire. J’aime dire que le cirque est un spectacle vivant fait par des vivants. Le nôtre cherche le lien, et tente de prendre position face à la cupidité, à la violence.
On parle aujourd’hui de cirque contemporain, de nouveau cirque... Comment évolue cet art populaire ?
Le cirque a la particularité de ne pas avoir connu de bouleversements esthétiques jusqu’aux années 1980. Jusqu’alors marginal, mal considéré, il était néanmoins très inspirant pour les poètes, les peintres et les cinéastes, immensément célébré par Marc Chagall, Henri Miller ou encore Fernand Léger... Des gens ont ainsi pris possession de cet art porteur d’un imaginaire incroyable, un art qui parle à tous, comme le théâtre de Jean Vilar, car ils y voyaient la possibilité d’un langage qui ne passe pas par la culture des mots. Seule la culture de l’émotion est partagée par tous - qui n’a jamais connu la peur, la joie ? - puisque l’apprentissage n’est pas ici nécessaire. Je suis moi-même très sensible à la " culture de l’exclusion ", sensible à la violence du monde. Que dire des orchestres qui jouaient la magnifique musique de Mozart dans les camps de concentration d’Auschwitz ? Le cirque est un art populaire, porteur de sens et de plaisirs, de partage, une forme artistique à part entière qui connaît un renouveau extraordinaire depuis une vingtaine d’années.
Pourquoi Plic Ploc ? Pourquoi l’eau ?
L’eau parce qu’elle nous ramène à l’origine de la vie. Plic Ploc rend hommage à la beauté des gouttes d’eau sur lesquelles je porte depuis toujours un regard d’amour. Il fait référence aussi au gaspillage, à l’égoïsme ambiant qui fait qu’on climatise pour soi au détriment de la planète, et donc de la communauté. Plic Ploc illustre enfin l’art de la transformation, celle des petits soucis en sources de joie.