La Croix
1er décembre 1996

Les artistes du Cirque Plume mènent une vie d’acrobate

De Valérie, la contorsionniste, à Jean-Marie, l’illusionniste, en passant par Jacques, le vélocipédiste, le Cirque Plume laisse chacun ébahi et ravi

Didier Méreuze

Dans le Parc de la Villette à Paris, il y a la Géode et la Cité des sciences. Il y a le "dragon" immense où les enfants se perdent sous le regard de leurs parents, attendris. Il y a les allées où l’on se promène à pied ou à bicyclette, seul ou en famille. Et puis, encore, le long du canal, il y a le double chapiteau jaune entouré de caravanes et de semi-remorques, et où, chaque soir, des spectateurs par centaines, viennent s’esbaudir, enfants et parents réunis. C’est le Cirque Plume.

Un "nouveau cirque" comme on dit. Une véritable "tribu aussi", comme le précise son directeur Bernard Kudlak, forte d’une trentaine d’âmes – sur les cinquante que compte le cirque à Besançon, son port d’attache. Avec ses deux cuisinières qui préparent les quarante repas du midi et autant le soir ("il y toujours des invités !"), ses deux nourrices qui s’occupent des marmots, ses quatre techniciens de plateau et ses trois pour le son et les lumières qu’il faut retravailler avant chaque représentations ("avec le vent, elles se dérèglent sans cesse !"). Avec ses responsables du bar et de la maintenance, et, bien sûr, ses artistes – une douzaine de jongleurs, clowns, musiciens, acrobates ...

Pas de fauves, pas d’animaux ici. Pas d’enfants de la balle non plus. Mais des hommes et des femmes arrivés des horizons les plus divers pour se perdre dans ce "monde à part qui permet de vivre à part", lance Jacques, spécialiste du vélo avec ou sans trampoline sorti il y a tout juste deux ans de l’École supérieure des arts du cirque. Un monde aux allures de village avec ses propres lois, son organisation propre. Un monde placé sous le double signe du spectacle et du nomadisme.

Chacun a sa tâche

Le spectacle, rappelle Bernard Kudlak, "c’est ce vers quoi tend toute une journée", des premiers échauffements vers 9h30-10h aux ultimes ajustements, raccords et autres répétitions qui ne s’arrêtent que pour permettre au chapiteau d’être en état d’accueillir le public. Chacun a sa tâche. On est loin du temps où tout le monde devait mettre la main à la pâte partout – installation du cirque, cuisine, vaisselle et tutti quanti. "Un jour, explique Michèle, cofondatrice de Plume, on s’est aperçu que jouer d’instruments à musique dans le spectacle après avoir monté le chapiteau, ce n’est pas possible. On perd toute dextérité, les articulations résistent. Il a fallu choisir ..."

Les déplacements se font par la route. Chacun tire sa caravane de son coté. Fini les grands convois mythiques. "Autrefois, reprend Bernard Kudlak, c’était un moyen de publicité. Et les étapes étaient courtes – 30 kilomètres au maximum ... A présent, on court d’un bout de la France à l’autre, on part à l’étranger. Une année on a fait Nantes, Lisbonne, Stockholm, Maastricht dans la même foulée." Quand on sait que le Cirque Plume est composé de vingt-cinq caravanes et huit semi-remorques, on imagine ce que cela peut donner ! "Ce serait trop dangereux. D’autant plus que sur la route, les automobilistes nous supportent mal. D’ailleurs en général, les gens sont méfiants, la vieille peur du voleur de poules ..."

Sans doute, chacun pourrait dormir à l’hôtel, mais "c’est l’horreur" s’insurge Michèle. "C’est froid, déprimant, impersonnel ..."

"Tout est question d’organisation"

Autodidacte formée tardivement aux arts de la piste, elle avoue qu’elle n’était pas prédestinée à cette vie. Pourtant, maintenant, elle ne l’échangerait pour rien au monde. "Ou alors, renchérit-elle, je serais capable de quitter le cirque". La caravane, c’est sa "maison". Elle y a ses livres, son confort. Elle peut s’y enfermer seule ou l’ouvrir aux autres. Il n’y a que le décor qui change à l’extérieur ... "Lorsqu’on a des enfants, insiste-t-elle, c’est idéal. On vit toujours avec eux. On n’a pas à les lever pour les amener à la crèche, les bousculer le samedi pour faire les courses. Ils ont des compagnons : les autres enfants du cirque."

Ces enfants, ils sont six. Tous en bas âge, comme celui de Michèle. Que se passe-t-il quand ils devront aller à l’école ? Elle ne s’en inquiète pas plus "On peut prendre une nourrice qualifiée ou un instituteur en déplacement qu’on paierait à plusieurs ..." Ou encore demander à une personne du cirque d’assumer cette fonction, comme le technicien, qui, il y a quelques années, a pris en charge, en accord avec un instituteur de Besançon, un enfant du niveau du cours préparatoire. "Il avait découvert sa vocation, relève Michèle. Il s’est fait instituteur après..."

De fait, "tout est question d’organisation" comme elle dit. Avec pour premier souci de préserver un art de vivre qui mêle intimement travail et quotidien dans la convivialité d’un rêve de république utopique. Un rêve qui pousse Valérie, la contorsionniste, à dormir chaque soir dans sa caravane, alors qu’elle possède un pied-à-terre à Paris. "Depuis que nous sommes installées à La Villette, s’exclame-t-elle, je n’y suis passée qu’une seule fois ! Je suis chez moi, ici !"