Ouest France
9 août 1985

Le lion est caché dans le tuba
AU CIRQUE PLUME

Dominique DELAUNAY

JPEGEnroulé dans le gros tuyau de cuivre, il rugit dans l’embouchure et se fait menaçant comme le seigneur de la jungle. En face, légère comme une ballerine, elle agite devant son pavillon, un long ruban coloré et fait (bonne) mine de le dompter. Et voilà, l’instant fatidique qu’accompagnent les roulements du tambour. Elle s’approche lentement pour venir mettre sa tête entre les mâchoires imaginaires que l’on devine à l’intérieur du tuba. Un coup de grosse caisse, ça y est ! Les applaudissements s’envolent en rigolant au-dessus des gradins.

La scène se passe sous le chapiteau du cirque Plume, qui tous les soirs jusqu’au 18 août (sauf les lundi et mardi) présente son spectacle à la sortie de Batz-sur-Mer, sur la route du Croisic. Pendant près de deux heures, les numéros défilent sur la piste, bien soutenus par une trame musicale à base principalement de cuivres, à mi-chemin entre Mino Rotta et le Willem Breuker Kollectief.
Si tout, sous le chapiteau, a bien l’allure d’un cirque, le contenu du spectacle diffère de l’image traditionnelle que l’on se fait d’un petit cirque. Pas d’animaux, pas de clowns à nez rouge, encore moins de trapézistes. Mais, un mélange d’humour, de poésie et de magie. Ainsi, Bernard, le « Monsieur Loyal » du Plume jonglant avec un rond de lumière, le mettant dans une cage et le faisant ensuite rebondir au sommet du chapiteau. Ou encore un morceau de musique contemporaine où les partitions sont... des cartes routières. Sans oublier, la fausse dompteuse qui danse avec un vrai costume d’oiseau ou la funambule qui rythme le tango sur son fil de fer avec son ombrelle-balancier. Le tout, se terminant par une jonglerie avec torches enflammées du plus bel effet.
« Nous sommes victimes de l’image des petits cirques, dira plus tard Bernard. Difficile de faire savoir aux gens que nous ne sommes pas un cirque ordinaire. » Venus de Besançon, où ils sont installés et maintenant bien reconnus, ils sont à Batz-sur-Mer depuis le début juillet, où pendant quinze jours, ils ont animé un « stage d’école de cirque », avant de donner leurs soirées de spectacles.

Un budget de cent millions de centimes

Dix caravanes, un chapiteau, une quinzaine de personnes dont six permanents, un budget annuel de cent millions de centimes dont 20 % en subvention de la région de Franche-Comté, le projet du cirque Plume est vieux de deux ans. Au départ, des gens venus du cirque et d’autres ayant tous été musiciens, comédiens ou danseurs. C’est la première fois qu’ils quittent leur région d’origine pour une telle expérience estivale, où ils risquent malheureusement de laisser quelques... plumes financières malgré l’accueil et le soutien logistique de l’amicale laïque de Batz-sur-Mer, qui les a invités.
« Avant tout, on s’amuse bien », dira Vincent, qui ne présentera pas son numéro d’acrobatie, ce soir-là, pour cause de mal de dos. Ce qui ne n’empêchera pas de nous faire don d’un drôle de morceau de magie, où les nœuds des foulards voyagent à distance, dans les mains de spectateurs venus en renfort sur la piste.
« Nous ne sommes pas et ne voulons pas être un cirque que pour les enfants » conclura Bernard. Et le pari est gagné, puisque sur les gradins, les spectateurs auront, deux heures durant, oublié leur âge pour savourer à plein rire la poésie du présent. Un rire léger... comme une plume.