De la peinture à la barbouille, n’y aurait-il qu’un pas ? Pour le Cirque Plume, dont le nouveau spectacle s’intitule L’Atelier du peintre, il semble bien que oui. D’un côté, des reproductions de toiles de maître accrochées au rideau de scène (Vélasquez, Ingres...) ; de l’autre, des "croûtes" peinturlurées par des amateurs hasardeux. Entre les deux mondes, la danse des pinceaux et du rouleau occasionne quelques réjouissances circassiennes et des gags parfois hilarants.
A l’affiche de l’Espace Chapiteaux du parc de La Villette, à Paris, L’Atelier du peintre, neuvième spectacle de la compagnie franc-comtoise, sous la houlette de son directeur artistique Bernard Kudlak, fête les vingt-cinq ans de la troupe. Et pas n’importe comment. Trois mois de programmation à La Villette. Un record, que la popularité du Cirque Plume autorise. Depuis mercredi 30 septembre, standing ovation chaque soir pour saluer les treize interprètes.
Populaire et référencé (à condition d’en avoir, des références, sinon, on passe à côté, mais ce n’est pas très grave !), le motif pictural, excitant à première vue, se déballonne comme une fausse bonne idée, un prétexte parfois cousu de fil blanc. S’approprier le geste du peintre, pourquoi pas, se faire encadrer comme un tableau, oui, bien sûr, mais à condition d’en opérer des traductions un brin moins plates que celles, très sympathiques au demeurant, proposées par Plume.
Faire descendre une femme nue en chair et en os d’un tableau reste une jolie idée, mais un peu usée. Plus intéressante, la séquence autour d’une toile fendue en deux - façon Origine du monde - aspire les interprètes d’une galipette de l’autre côté du miroir et du tableau. Carrément débile et franchement drôle, le numéro de paint-ball au cours duquel un collectionneur hystérique se fait coller au tableau d’un grand jet de peinture. Fou rire immédiat et longue durée, il y en a pour tous les goûts.
Perles et vraies trouvailles
Les inserts théâtraux ou clownesques autour de la peinture avec les numéros de cirque proprement dits - roue allemande, main à main, acrobatie au sol... - s’enchaînent dans la simplicité. On passe de l’un à l’autre sans transition ni confusion entre les registres. Quelques personnages - les "papys peintres" Robert Miny et Pierre Kudlak, par exemple - servent de lien entre les scènes, tandis que la musique live signée par Miny et jouée par la troupe huile les articulations.
Quelques perles et autant de vraies trouvailles émaillent L’Atelier du peintre. Un exemple, épais comme un mille-feuille, donne le ton. Lorsque le clown et jongleur (Tibo Tout Court, alias Oui-Oui) fait rebondir ses balles blanches sur le sol, le plancher sonorisé renvoie un crépitement musical subtil. Parallèlement, trois interprètes assis en cercle font rouler des balles au sol. Ces deux actions se croisent sur un écran à travers un ballet de bulles en ombres chinoises. Ce jeu triangulaire fait voltiger le regard.
Tout de même, un mot sur les jeux de mots à saisir au vol. Le peintre Soulages, champion du noir, est cité au détour d’un commentaire plein d’humour : il "soulage". Oui, certes. Cette boutade souligne le tiraillement perceptible dans le spectacle entre un premier degré très Lagarde et Michard, et un éventuel second degré. Comme un double accès qui ne serait pas ouvert à tous. On préfère le refrain de "La peinture à l’huile, c’est bien difficile, mais c’est bien plus beau que la peinture à l’eau".
Rosita Boisseau