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27 septembre 2018

La "dernière saison" du Cirque Plume, un poème visuel en guise d’adieux

LA "DERNIÈRE SAISON" DU CIRQUE PLUME, UN POÈME VISUEL EN GUISE D'ADIEUX | Toutelaculture.com (presse_lds) {PDF}Le Cirque Plume pose ses valises à La Villette, pour la dernière fois, du 26 septembre au 30 décembre. Le spectacle, justement appelé Dernière saison, est un florilège de ce que l’équipe artistique a défriché depuis 30 ans que les Plumes se posent aux quatre coins de la France : mélange de cirque, clown, théâtre visuel, musique jouée en direct, c’est une œuvre impressionniste qui s’élabore par petites touches. A voir !
★★★★

Un spectacle en forme de proposition poétique

Un spectacle du Cirque Plume, c’est un élan vers une poésie, toujours. Une atmosphère qui cherche à se traduire en gestes et en sons, une histoire qui n’est pas une simple narration et qui tente d’advenir par tous les chemins de traverse qu’autorise la magie du spectacle.
En l’occurrence, la proposition de Dernière saison c’est un voyage dans le temps, non pas dans le temps linéaire où les fins sont des chocs qui ouvrent sur le néant, mais dans le temps circulaire du monde et des saisons où toute chose meurt pour laisser place à de nouvelles naissances, dans un grand mouvement qui embrasse en même temps qu’il projette vers l’avant.
Le lieu choisi pour représenter ces cycles est la forêt, symbolisée sur scène par deux branches d’arbre majestueuses, suspendues aux cintres. C’est le prétexte à convoquer l’animalité des artistes. C’est le prétexte à faire entrer la Nature sur le plateau. C’est l’occasion d’appeler le public à se reconnecter à un rythme qui est gravé dans l’héritage de l’espèce.
C’est cette pulsion que le Cirque Plume a tenté de placer au cœur de son geste de création, pour ce spectacle qui doit être son dernier. Prendre acte, avec son public, de la fin d’un cycle, qui n’est que le prolongement d’autres, et le commencement de nouveaux. Célébrer le geste spectaculaire et partager le rêve, sans regarder en arrière avec nostalgie, mais sans pour autant refuser de porter la trace du passé. Un spectacle de sagesse et de maturité, en somme.

Une formule éprouvée

Aussi la proposition est-elle faite, fondamentalement, de la même formule qui fait le succès des Plumes depuis leurs débuts. Ce n’est pas tant un spectacle de cirque pur, qu’un spectacle de cirque augmenté. Augmenté de tout ce qui fait vie, joie, communion : autour et au-delà des numéros circassiens, la musique est omniprésente, le clown généreusement convoqué, les tableaux sont construits avec le souci de la recherche d’une esthétique visuelle forte. Aucun amateur du travail du Cirque Plume ne se trouvera dépaysé.

La grâce de la performance physique

Côté circassien, on a beaucoup d’acrobaties et d’agrès aériens. Foin des roues Cyr, on s’élève par le fil, le mât chinois, l’anneau aérien. Seule la contorsion reste au niveau du plancher de la scène. Distillés de façon équilibrée à mesure du spectacle – qui dure 1h50 – les numéros sont tous maîtrisés avec une grande précision technique. Quand il y a des ratés, ils sont assumés avec grâce. Le passage d’Analia Serenelli à l’anneau aérien, qui ouvre presque le spectacle, est un bijou de grâce tout-à-fait hypnotisant, mais ses comparses circassiennes ne sont pas en reste dans leurs disciplines – il y a fort à parier que beaucoup de spectateurs auront été impressionnés par les contorsions d’Anaëlle Molinario.
Au plan physique, la danse est également très présente, et, d’ailleurs, Analia Serenelli s’y distingue également par sa souplesse, sa précision, sa fluidité d’exécution. Les danseurs « purs » ne sont pas en reste et posent quelques très jolis moments de temps suspendu, jouant dans des lacs imaginaires ou dansant autour d’un flocon de neige.
De façon tout aussi physique, certains artistes jouent entre le clown et la performance, en explorant cette animalité qui, pour être éloignée par tous les artifices de la vie moderne, n’en reste pas moins infiniment troublante car inéluctablement liée à notre nature profonde d’êtres humains. Cyril Casmèze investit avec brio cet espace trouble où le bipède peut encore céder à la pulsion de se courber à nouveau vers le sol : il est très drôle à la fois qu’il réussit à investir quelque chose de primal et de totalement convaincant.

L’omniprésence de l’humour et de la musique

Cette présence de l’humour, et d’une certaine légèreté, on la retrouve tout au long du spectacle. Certains des artistes ne sont présents sur scène que pour endosser des rôles comiques – purement visuels, ou en jeu de clown, comme lorsque le Père Noël et le Père Fouettard viennent se quereller au milieu des gradins – tandis que certains autres se partagent entre une « fonction » musicale ou circassienne, et un personnage clownesque. Natalie Good, qui s’illustre par ailleurs au fil de fer, joue ainsi tout du long un personnage extrêmement expansif, qui constitue, pour le public, l’un des points d’accroche qui aide à lier l’ensemble du spectacle. On notera au passage que tous les personnages mis en valeur, notamment ceux des quatre circassiennes, sont très individualisés et, du coup, absolument pas interchangeables : cet effort dans le travail d’écriture qui consiste à construire des caractères colorés et distincts, avec des personnages féminins peu caricaturaux, doit être salué.
Et, évidemment, puisqu’il s’agit d’un spectacle du Cirque Plume, la musique vient comme une colonne vertébrale de l’ensemble. Si elle est parfois jouée presque indépendamment de l’action, comme un concert, elle est la plupart du temps profondément mariée aux évolutions des autres artistes sur scène. C’est presque de l’ordre de l’évidence pour les danseurs. Mais c’est tout aussi vrai de tout le reste du spectacle, depuis les numéros de cirque, qui se retrouvent éclaboussés de l’atmosphère musicale qui les emporte, jusqu’aux numéros comiques, où les percussions par exemple peuvent devenir partie intégrante de la proposition.
Le travail de composition de Benoit Schick mérite d’être salué très bas : tantôt mélodie aigrelette que ne renierait pas un Jeunet, tantôt blues déchirant évocateur d’un Tom Waits, les paysages musicaux sont aussi variés et colorés que divers. Les différents interprètes s’en donnent à cœur joie sur scène, et leur plaisir est communicatif.

Un univers visuel aussi beau que maîtrisé

Autre composante caractéristique des spectacles du Cirque Plume, la scénographie est globalement très belle. Comme à l’habitude, un soin particulier a été porté à l’aspect visuel, pour que les tableaux sans cesse changeants soient équilibrés, délicats mais forts. Tous les passages des acrobates sur leurs agrès ont été particulièrement soignés. Le tableaux final, avec ses parapluies, même s’il table sur des images bien connues, vaut à lui seul le détour. La matérialisation de la lune par des jeux de lumière est une idée pleine de poésie.
La mise en scène, comme d’habitude là aussi, joue au maximum sur la boîte noire et le cadre de scène. La possibilité de créer des profondeurs différentes et des jeux d’ombre, par l’emploi de voile et de rideaux, est exploitée tout le long du spectacle, en distillant parfois une atmosphère mystérieuse qui sied tout-à-fait au lieu vaguement inquiétant qu’est la forêt. Les entrées-sorties sont également élaborées. Les jeux de lumière, qui découpent des zones d’ombres propices aux surgissements, travaillent également la sensation d’étrangeté.

Un ensemble qui manque de fluidité

Et pourtant, malgré le mariage de tous ces éléments qui, individuellement, poussent à ne livrer que des louanges, on reste un peu moins charmé, un peu moins transporté que l’on n’en avait l’habitude. De Tempus Fugit ? le précédent opus dans la longue et prolifique histoire du Cirque Plume, on ressortait comme suspendu, en état de grâce. Dernière saison, malgré ses indéniables qualités, manque un peu son effet de ce point de vue là.
Peut-être faut-il y voir l’épuisement des idées et de la formule. Dernière saison est très typiquement un spectacle du Cirque Plume, avec tout ce qui le caractérise. Rien dans le spectacle n’est neuf ni surprenant, si tout est maîtrisé et astucieusement agencé. Aucune image, aucune figure, aucune astuce qui vienne surprendre qui est habitué de ce genre de spectacles. Peut-être peut-on mentionner la présence du double fil de fer, mais les inventions s’arrêtent là.
Cela ne serait sans doute pas suffisant, à soi seul, pour expliquer qu’on ne se laisse pas entièrement gagner par la proposition… Peut-être, malgré la force de certains de ses tableaux, le spectacle manque-t-il de fluidité d’ensemble. On a souvent le sentiment que les scènes sont brutalement coupées les unes des autres, que l’on bascule d’un univers dans un autre sans qu’une continuité ne soit ménagée. Comme si, plongé dans un rêve, on état soudainement sommé de se réveiller, pour aussitôt adhérer à un autre. Ces chocs, souvent répétés, brisent un peu l’état de bienveillante connivence qui doit être celui du public, pour que l’immersion soit totale.
C’est peut-être là aussi le signe d’un spectacle qui doit trouver ses marques dans un nouvel espace, une nouvelle acoustique. Sans doute le passage des représentations sous la toile du chapiteau de La Villette permettra-t-il d’acquérir une harmonie plus grande entre les tableaux.
Toujours est-il que ce spectacle, poétique de bout en bout, est admirablement maîtrisé, du point de vue de la technique comme de l’émotion. L’occasion de saluer une dernière fois le travail admirable d’une troupe qui a contribué, par ses spectacles exigeants, au renouveau de ce que le cirque pouvait proposer de plus beaux à son public. Rien que pour cela, le déplacement vaut la peine d’être fait.
Le Cirque Plume reste à La Villette jusqu’au 30 décembre, puis continuera de tourner Dernière saison encore jusqu’en 2020… à suivre !

Mathieu Dochtermann