La Terrasse1er octobre 2018
Critique. La dernière saison. La Villette / Ecriture et mise en scène Bernard Kudlak
Ultime spectacle du mythique Cirque Plume, La dernière saison emporte avec elle une page importante de l’évolution des arts du cirque.
La dernière saison n’est pas un spectacle d’adieux, ni un best-of des meilleurs numéros du Cirque Plume, mais une vraie création, vivante, inventive, porteuse tout de même d’une certaine nostalgie. En une quarantaine d’années, le Cirque Plume est devenu une compagnie majeure au succès mondial. Sa marque de fabrique, vite estampillée « nouveau cirque » : proposer des spectacles où l’art circassien se met au service de la création poétique. Sur scène, une boîte noire en guise de piste, plateau disposé en frontal où s’élaborent d’habiles jeux de lumière permettent, au gré des numéros, de créer apparitions surprenantes et paysages magiques et mouvants. Les exploits circassiens s’incorporent dans une profusion visuelle associée à une musique jouée en direct qui mène ou accompagne les tableaux, parcourant au passage une grande variété d’univers. Conciliant dimension populaire et exigence artistique, le Cirque Plume s’est ainsi constitué un public fidèle et composite – il se produit, c’est éloquent, pour la onzième fois de son histoire à la Villette -, public qui a répondu présent en ce soir de première, première des dernières joyeuse et ne cédant en rien à la tristesse des adieux.
Tout procède ici par glissements successifs
C’est l’automne, avant l’hiver. Des feuilles mortes volettent au-dessus du plateau tandis que le public s’installe. Un sac plastique se mêle à la danse. Bernard Kudlak a conçu ce spectacle autour des montagnes du Jura qui lui sont familières, de la Nature dont il voudrait qu’on préserve aussi la beauté. Les tableaux parcourront une mer furieuse comme des montagnes enneigées, croiseront des animaux tout autant issus de la savane que d’un bestiaire fantastique. On dérive, on s’écarte. Tout procède ici par glissements successifs.
Quelques fils rouges : les hommes vieillissants et ventripotents courent avec un ridicule assumé après une virilité d’un autre âge. Les filles – plus jeunes, acrobates à terre, au fil, au cerceau, d’une aisance merveilleuse au mât, et contorsionniste incroyable – se rient de leurs simagrées de vieux singes. Dans cette atmosphère un peu sucrée, les chorégraphies se ressemblent et l’alternance de tableaux longs et d’intermèdes plus rigolos est quelque peu monotone. Mais n’abîmons pas plus le monument. Avec une dignité joyeuse, perpétuant un esprit de troupe où musiciens et circassiens s’entremêlent comme autant d’acteurs d’une même œuvre, La dernière saison donne à voir des trouvailles mémorables qui clôtureront en beauté le libre des souvenirs. Aux saluts, la communauté des spectateurs est debout, les yeux pétillants d’images et de reconnaissance. Devant lui, le pari d’un cirque sensible et poétique a encore de belles années.
Eric Demey