À propos de la toile de Charles Belle : "confiés à la forêt"
Au cours de l’hiver 2015, Charles Belle retourne au cœur de la forêt de son enfance. Il choisit un endroit reculé pour tendre une toile entre deux arbres.
Il fabrique un outil avec un long morceau de bois et un bloc de fusain. C’est avec cet outil qu’il commence à jeter sur la toile un dessin de branches. Les conditions sont difficiles, la toile de huit mètres de long et trois mètres de haut se déforme. Les branches des arbres l’empêchent. La neige est profonde. Pourtant ses gestes sont amples, fulgurants. Les noirs sont intenses, les lignes sont vibrantes, le dessin surgit. Dans cette énergie particulière, il réalise un second dessin sur l’autre face de la toile. Encore plus obscur, plus impénétrable. Ces dessins semblent contenir tout le mystère d’une âme.
Charles Belle part, abandonnant les dessins à la forêt.
Pendant de longs mois, le vent, la neige, la pluie et les branches, griffent, patinent, abîment la toile.
Un an plus tard, au début de l’automne 2016, Charles Belle revient. La toile est envahie par la végétation, telle un intrus confisqué par la forêt. Dans un geste meurtrier, Charles Belle recouvre de noir le premier dessin. La poussière de charbon s’incruste dans sa peau, dans ses yeux, dans sa chair. Il semble effacer la trace de son existence pour la rendre à la forêt. C’est une part de lui qu’il laisse à cette mémoire qu’il ne visite plus.
Il abandonne à nouveau ce monolithe noir à la forêt et au temps.
Ces deux dessins ne sont connus de personne. Ils existent en silence. Malmenés par la puissance des éléments, ils s’inscrivent dans le rythme de la forêt. Ils disparaîtront peut-être, déchirés par un orage ou par la chute d’un arbre...
Ce n’est qu’à l’automne suivant que Charles Belle revient accompagné de ses amis du Cirque Plume. Ils découvrent ensemble les dessins. Devenus fossiles de la forêt, ils sont patinés par les griffures des arbres, par les tempêtes, par les pluies, le soleil et toutes les lunes. Au fil des jours, les lignes du premier dessin réapparaissent sous le noir, elles contiennent toute la force de ce que veut dire exister, être présent au monde. La mélancolie s’est emparée de ce territoire .
Pour Bernard Kudlak, l’histoire de ces dessins doit continuer de s’écrire.
Il revient donc avec toute la troupe du Cirque Plume pour « l’enlèvement ». La musique, la danse, les instruments, résonnent dans la forêt. La troupe accompagne dans un rituel intense, ce moment où Charles Belle décroche la toile. Tous ensemble ils la portent comme le corps d’une personne précieuse.
Chargés de sept saisons, de toutes leurs mémoires et des tremblements de l’être, les deux dessins accompagnent la troupe dans sa dernière saison, au rythme des représentations ils vont continuer à se nourrir de la poésie du Cirque Plume.
Noémie Belle-Paya, 2017
Pour visionner le film de François Royet sur l’histoire de cette toile : https://vimeo.com/38696207