La Revue du Spectacle (larevueduspectacle.fr)4 octobre 2018
Cirque Plume… une dernière avant la roue
Présent depuis 1984, le Cirque Plume sillonne les chapiteaux en emportant dans leur grande roue des cabrioles, de la danse, des chansons, de la musique et beaucoup d’humour. Pour ce dernier spectacle, la troupe a décidé de réunir des revenants, des nouveaux, des anciens, des jeunes et des moins jeunes de toutes nationalités.
C’est pour eux la dernière saison. Ou plutôt le nom de leur spectacle mais aussi leur dernier opus. Car… pour l’âge ? Il ne faudrait pas les croire vu ce qui se joue sur scène. Et puis le cirque a revisité ses fondamentaux depuis plusieurs années en intégrant du théâtre, des chansons, de la musique et de l’humour, les acrobaties passant parfois quelque peu en arrière-plan.
C’est un rapport au corps qui nous est conté autour de sketchs. C’est aussi et surtout une mise en avant de l’animalité humaine dans laquelle Cyril Casmèze, acrobate zoomorphe, excelle en cheval. La mise en index des animaux avec ses dompteurs dans une cage laisse une thématique ouverte dans la représentativité animalière. Celle où l’homme devient aussi oralité et démarche équestres. C’est plus qu’une imitation, c’est une déclinaison de l’homme dans sa bestialité. Un numéro de percussions est effectué avec des valises. Il n’est pas uniquement un moment de rapidité et d’adresse. Il est surtout celui d’une coordination entre artistes et objets. Le mouvement des corps, pieds et mains sur les valises créent une osmose autant corporelle que musicale, comme si les trois artistes composaient une symphonie en banc (sur lequel ils s’assoient). Ils opèrent ensemble une transformation où l’objet "valise" devient percussion.
C’est aussi une poésie spatiale, musicale et acrobatique qui se déploie sur scène. J’entends par poésie cette approche scénographique où les corps se marient avec grâce et temporalité à la scène. La rapidité est mise souvent de côté pour laisser place à un état de "flottement", de corps suspendus où le "laisser couler" temporel devient moyen de propulsion, de lévitation, de rapport à l’atmosphère.
La gestuelle devient, paradoxalement, plus en adéquation avec sa gravité. C’est le corps qui existe pour ce qu’il est avec une gestique où les mouvements, au-delà de toute technique, sont d’une simplicité absolue. L’artiste dans les airs est là pour sentir, non pour montrer. Sa présence exprime comme une "palpation" de l’espace.
L’acrobatie n’est qu’un passage temporaire, même si elle a ses propres numéros, à des états où l’équilibre est recherché et non plus bouleversé. La musique apparaît avec guitare, basse, percussion, darbouka et piano. Les sketchs, toujours au travers d’une grille humoristique, donnent un autre tempo au spectacle, celui d’une mise en situation dans laquelle les artistes instaurent un dialogue avec le public en débanalisant le cirque par le biais de l’humour. Il sort en effet de ses chemins de traverse acrobatique pour créer une relation à l’espace et au temps en dehors de toute prérogative technique. Il devient ainsi pure poésie.
Natalie Good, sur ses deux fils en parallèle comme des barres/poutres asymétriques, a aussi ce rapport au temps en se dodelinant sur ceux-ci et en en jouant. Technicité il y a mais le rapport à celui-ci est autre car bousculé. Il s’agit de ne plus se concentrer sur ses fils mais d’intégrer le public dans ce numéro. La concentration est ainsi décentrée volontairement. L’auditoire devient objet d’attention autant que le fil pour l’acrobate.
Ce rapport à l’autre est aussi nourri par les corps, virils ou faussement virils. Grands, gros, ronds, beaux, maigres, costauds ou malingres, les troncs sont de tous les gabarits et revendiqués comme tels. Ils sont montrés pour s’en amuser autant sur scène que dans le public.
L’intégration, de plus en plus couru dans le monde circassien, du faux quidam sur scène (car c’est Bernard Kudlak, le directeur de la troupe) avec ses maladresses et ses approximations tisse un lien truculent avec le public. C’est un monde ouvert à tous. Chacun peut ainsi faire partie de la ronde.
L’univers circassien est un monde où l’animal apprivoisé, abandonné par le cirque, revient habiter les lieux au travers d’imitations, où les corps sont acceptés quelle que soit leur morphologie et où le maladroit a droit de cité.
De même, la danse, avec laquelle Nicolas Sannier se joue d’une plume dans les airs, n’est pas forcément d’une grande technicité. L’objet n’est pas là. Il est dans cette approche du tout-en-un de cette triade du corps, de l’espace et du temps sous-tendu, à l’exception de ce numéro, par le rapport à l’autre.
Le chant parfois, la musique souvent, sont aussi très présents avec ce joli ensemble dont les couples portent un parapluie jaune, allumé à l’intérieur. C’est très romantique avec cette lumière tamisée qui décline le mariage du temps et du geste, du pas et du tempo, de la partition et du mouvement. Cela se finit un peu plus loin avec toute la troupe sur un tronçon de bois, comme perdue dans la mer, tous ensemble, portés par le flot de la musique. Telle une peinture.
C’est beau, léger et poétique.
Safidin Alouache