Patrick Merle
C’est un joli chapiteau jaune à l’extérieur, bleu nuit à l’intérieur, façon tente berbère, qui vous accueille au parc Chanot. Un gradin frontal, pas en cercle, et un large plateau où se dresse une sorte de voile blanche prête à appareiller. A bord de cette nef, pendant deux heures, le voyage sera à la hauteur de la réputation qui précédait le Cirque Plume.
970 places archi combles et au cœur du spectacle, des rires, des applaudissements, de la frénésie dans les rangées, du tapage de pied, de la connivence. Au salut, une standing ovation spontanée qui est allé droit au cœur des artistes. Entre-temps, les douze artistes de la troupe, et leurs assistants en régie, auront offert une tranche de bonheur pur, mêlant intelligemment théâtre et cirque pour ne plus faire qu’un spectacle total, hors du temps.
Un rêve éveillé, forcément léger comme une plume, une bulle de savon, un homme soulevé de terre comme par magie, un déplacement astral, mystique, d’où il fallait pourtant redescendre. En même temps un montage habile, avec une musique originale de Robert Miny, des numéros bien réglés, bien mis en avant. Et un sens de l’habillage, de l’enrobage à la manière de ces bonbons dont on sait qu’ils sont succulents mais où l’on s’attarde un instant sur la papillote qui l’enveloppe.
Tout commence par un chœur de cinq femmes dans les tons orangés, presque antique, avec sa jeune divinité blanche sur fond de drapé rouge. C’est Jane Allan virtuose du trapèze sans filet. Surgit alors la fanfare tonitruante de six hommes pour un face à face harmonie contre désordre, grâce contre brutalité, esthétisme contre rigueur, feu contre froid. Valérie Garçon livre en statue de chair une belle contorsion, tandis que Michèle Faivre donne de la voix et de l’ongle siffleur.
Jean-Marie Jacquet a recours à la magie pour révéler sa féminité, tandis que Jacques Schneider, déboulant du haut des gradins, est bien le roi du vélo acrobatique, au sol, en bordure et dans un trampoline, jusqu’au saut périlleux. Un bateau de l’amour aux sonorités rock ou lyrique, les coupures de rythme permettant à un nouveau tableau de se mettre en place.
Entre espièglerie et poésie, Plume joue aux ombres chinoises pour un pantin de lumière et d’impossibles amours. Valérie Dubourg grimpe au drap pour en faire un cocon virginal, symbole dans les entrailles de la vie. Ludique aussi, quand Zorro surgit dans la famille Adams, les références abondent, se télescopent. Adam et Eve se retrouvent au Muppet Show, avant que Brigitte Sepaser, sur son fil, avance et danse hantée par son fantôme à nez rouge, sur un air de bossa.
Sorte d’hommage aux sonneurs de cloche des Branquignols, l’esprit chansonnier des années 50 est revisité avec le piano humain de Robert Miny, avec le renfort d’une cantatrice sirène de pompiers, Marlène Dietrich invitée au bal chez Cocteau. Un piano à malice suivie de la énième prestation savoureuse d’Alexandre Demay, équilibriste, clown, comédien, musicien, artiste complet comme tous ses partenaires.
Survient l’Auguste blanc et un jeu de miroirs, de reflets. Sous une pluie de nez et de plumes rouges, un ultime clin d’œil est adressé à Mon oncle de Jacques Tati. Le chien Kao, mascotte noire et blanche, a alors bien le droit de grimper sur le plateau, pour une salve de six scies musicales.
Selon la formule consacrée, les spectateurs qui ont aimé le spectacle doivent en parler à leurs amis, ceux qui n’ont pas aimé à leurs ennemis. Sous le chapiteau du parc Chanot, il n’y aura que des amis