Avant-propos
En avant première de l’édito du dossier d’aide à la création, je vous joins l’avant-propos que je destine aux experts de la commission nationale d’attribution des aides à la création pour le cirque (aides devenues ridicules, sachant qu’elles n’ont pas suivi la réalité du cirque nouveau en France ! Mais enfin… tout de même indispensables à tous et à chacun.)
Ce texte parle du but poursuivi par un artiste dans sa création, à la lumière de réflexions (je l’avais bien dit : c’est une histoire de miroir !) sur la peinture et les arts plastiques.
L’ATELIER DU PEINTRE ET LE CIRQUE
Le but des spectacles du Cirque Plume est la rencontre d’humanité, dans le partage d’émotions, d’éternité d’un instant, d’inconscient, d’amour et de joie, de rencontres, de beauté avec un public. De vivant à vivant.
À travers la représentation d’une œuvre d’art de cirque partagée par un très large public.
En disant le monde.
Pour commencer, je ne vais pas vous parler du spectacle à venir, mais de la source du spectacle à venir. La source fraîche et lointaine qui fabrique les torrents et les fleuves tranquilles des spectacles du Cirque Plume. Aussi inaccessible et cachée que celle du Nil.
Tout d’abord, je voulus créer un nouveau spectacle sur et avec la lumière. Avec elle, des miroirs et des transparences. Des bouteilles, des lasers, des hologrammes et de la vidéo. Et de la terre et des pigments.
Autant le dire tout net, je n’ai pas eu le flash nécessaire à la création, lorsque, pour les besoins de la cause, j’ai visité des salons où l’on vend (j’avais écrit : "où l’on vent" ! ) le top de la technologie laser et lumière en tout sens. Rien de ce que je voyais dans les allées ne me faisait vibrer.
Aussi me voili-voila bien déçu : mon projet était amputé de la technologie de boite de nuit. Il me restait des éléments naturels, la terre, des pigments, les miroirs, les transparences. Et la vidéo.
Tous ces éléments ajoutés aux corps athlétiques des artistes de cirque, à l’envie d’un vieux piano au fond de la scène, ajoutés à ma question : "quel spectacle et quelle représentation de ce spectacle m’attendent au coin de la mémoire de mon futur opus ?" m’emmenèrent vers le souvenir d’un texte célèbre de Michel Foucault "Les suivantes", premier chapitre de "Les mots et des choses" dans lequel il décrit le tableau "Les Ménines" de Vélasquez et le rapport de ce tableau à la "pure représentation".
Le rapport de l’œuvre et du spectateur selon Foucault était, ou me semblait, de même nature qu’au cours d’une représentation de chacun de nos spectacles.
Ce fut éclairant, beaucoup plus qu’une journée passée au S.I.E.L, parc des congrès à Paname. Le cadre du futur spectacle était trouvé avec Vélasquez ; il s’agissait d’évidence de :
L’atelier du peintre.
S’instruire, visiter les images, créer des images.
L’atelier du peintre au XXIème siècle ne peut pas se dire facilement, d’autant que la toile et la peinture ne sont pas en odeur de sainteté, encore aujourd’hui.
Il me fallait relire les histoires de l’art, de la peinture.
Je lus beaucoup sur l’art, l’histoire de l’art, l’art contemporain. Et les opinions sur l’art.
J’ai visionné une partie de la belle collection "Palette".
Je suis allé régulièrement dans l’atelier de Charles Belle, parler avec lui de ce mystère.
Puis j’ai créé chez moi un atelier de peintre et je me suis mis à peindre avec plaisir et passion sur toiles avec de la peinture acrylique, tout l’été 2008.
Se plonger dans l’image, dans les images. Et attendre.
Réfléchir
Et puis de toutes façons, plonger dans une ou des images, ne sera pas la première fois : "L’annonciation" de Fra Angelico avait pris une part très importante dans la préparation du spectacle "Mélanges (opéra plume)".
L’atelier du peintre.
Nous avons les thèmes, des matériaux et le titre.
Restait à chercher à en savoir plus, comprendre le pourquoi de ce thème.
Les éléments de matière, nous les avions décidés : miroirs, terre, pigments, verre.
Dans l’atelier du peintre, on pouvait prévoir encadrement, toiles, figures, statues, masques…
Les éléments du cirque devaient être décidés.
Les éléments de lumière restaient valables.
Les éléments de la musique sont connus (car dans la tradition du Cirque Plume).
Mais nous ne construisons pas un spectacle seulement avec des "matériaux", fussent-ils humains.
Alors pourquoi l’atelier du peintre ?
Cette question a une réponse dans un autre questionnement :
Quel sens a ce que nous faisons ? Quel sens pour l’art ? Qu’est-ce qui se passe aujourd’hui dans l’art, dans le monde, pour nous, pour vous ? Qu’est-ce que l’art, l’artiste, l’œuvre ? Et dans le fond, qu’est-ce que nous faisons quand nous créons un spectacle ?
Bref, l’atelier du peintre comme métaphore de notre démarche de création du Cirque Plume et des spectacles du Cirque Plume. Métonymie de la création, de l’acte de création, de la nécessité de création, du mystère de la création artistique.
L’atelier du peintre.
Nous affirmons à travers notre amour de la peinture, de l’art, de la beauté, notre plaisir d’apprendre, notre curiosité politique, que le monde mystérieux de l’atelier du peintre est notre monde.
L’atelier du peintre est le lieu de la création. Il est donc le monde. Notre monde.
L’atelier du peintre pose la question du peintre : y a-t-il un peintre dans l’atelier ?
L’atelier du peintre pose la question de l’artiste.
L’atelier du peintre pose la question de l’art.
L’atelier du peintre pose la question du sens.
L’atelier du peintre est aussi un lieu physique où nous pouvons rencontrer des œuvres, des idées d’œuvres, créer des œuvres, entrer dans les œuvres, reproduire des œuvres, nous inspirer des œuvres.
Nous moquer des œuvres, les vénérer, les célébrer, les utiliser.
Nous pouvons rencontrer les artistes, ceux de la compagnie, mais aussi ceux qui nous ont précédés. Des peintres, des modèles…
Nous pouvons rencontrer des concepts, des idées, des symboles, des icônes, des métonymies, des raccourcis, des points de vue politiques, religieux, philosophiques... artistiques.
Nous pouvons ajouter nos images aux images.
Nous pourrions débattre de l’art ou créer une forme qui serait un dialogue artistique sur l’art.
Nous pourrions critiquer la critique, nous pourrions étudier l’herméneutique, pourrions faire des études érudites sur l’érudition en art et en art du cirque et sur les érudits.
Nous pouvons être créatifs, enfantins, joyeux et ignorer la dictature du commentaire. Je crois que nous ferons plutôt comme ça !
Nous pouvons créer un spectacle à partir de tout ça.
Nous pouvons aussi apprendre, lire, nous instruire, réfléchir, voir des œuvres, écouter les érudits, comprendre, entendre. Et nous ne nous en priverons pas.
Mais enfin… des milliers d’années d’œuvres d’art ou, pour être prudent, de création d’images, ça fait un gros paquet, tout de même ! On nous trouvera peut-être pataugeant dans un océan sans limite : Les arts plastiques de l’origine à nos jours. Quelle modestie, tiens-toi bien, ça va tanguer.
Il va falloir choisir…
L’art d’aujourd’hui et Caius Cilnius Maecenas (ou "chapitre spécial pour l’expert de la commission d’attribution des subventions").
Première question : le thème de l’atelier du peintre en ce temps où l’art est industriel, virtuel, performant, immatériel, audiovisuel, est-ce vraiment pertinent ?
Ne risque-t-on pas un fatras de reliquat d’idées ringardes et nostalgiques sur une époque révolue où la peinture était reine des arts ? Et la France, sa capitale : hier au service de l’Europe puissante, aujourd’hui, depuis le milieu du XXème siècle, au service de l’Amérique. Le valet a suivi le maître, et le maître en économie, en finances, c’est l’Amérique.
La finance, commençons par là, puisque, là où est l’art est le pognon. Vrai ou faux ?
L’art est-il vraiment totalement au service de la puissance et de l’argent ? Le fabricant d’images n’est-il encore aujourd’hui, comme hier, que pourvoyeur de gloire des puissants ?
Régis Debray écrit que la Factory de Warhol était déjà présente dans l’atelier de Rembrandt (l’habile manager expert en promotion et public relation qui aimait la peinture, la liberté et l’argent), que les relations de Sixte IV avec Raphaël sont celles de Dubuffet avec la régie Renault et que le mécénat d’entreprise n’est pas moins intéressé et salutaire que celui de Caïus Clinius MECENAS au temps d’Auguste.
Et Toi ? Ô Précieux Lecteur de ce dossier, Excellent Expert du Théâtre et du Cirque, grand Juge de ce présent document si important pour notre misérable existence, sommes- nous, nous autres prétendants à la subvention d’aide à la création dans le domaine des arts du cirque, pourvoyeurs de Ta Gloire ? Je suis donc certain, cher Expert (fonction qu’il m’arrive d’occuper quelquefois en cette même commission) que Ta Gloire ainsi pourvue par nos soins, corrélée au montant de la subvention que nous recevrons -grâce à Toi, Génial Connaisseur Avisé des Arts et des Lettres-, sera à l’échelle et à la hauteur de l’ambition artistique de ce projet.
Respectueusement, avec hauteur et humilité, ton serviteur…
J’arrête ici cette plaisanterie qui montre que quand on parle d’art, nous pouvons aller sur ce terrain : l’argent, la gloire, les mécènes, les commanditeurs, le vrai pouvoir de l’artiste, et celui du commanditaire.
Ceux qui font les modes et les princes. Ceux qui décident de qui fait de l’art et de qui fait du cochon. Ceux qui s’interposent et imposent leurs lectures.
Et bien, disons-le tout net : nous n’irons pas dans cette direction. Mais il importait de le dire.
Car au fond, l’atelier du peintre, c’est notre atelier. De création.
Et ce que nous cherchons dans l’histoire et la réalité des ateliers de peintre, c’est ce que nous vivons à chaque création d’un nouveau spectacle du Cirque Plume.
Deuxième question, l’art contemporain est-il compatible avec la peinture ?
On a dit qu’aujourd’hui, l’œuvre n’avait plus d’importance : d’abord industrielle, faite par des machines ou des ouvriers (Warhol), elle est devenue conceptuelle et virtuelle.
Que deviennent la peinture et l’atelier du peintre ? Après la guerre, ce fut interdit de peindre figuratif en France. La dernière pop star française en peinture était Bernard Buffet. Peut-on encore danser devant ?
Arts permis et arts interdits.
Tous les deux ans, je visite la Kunsthalle de Bâle et ce qui me frappe et m’enchante n’est pas telle ou telle œuvre, mais cet ensemble grouillant de toutes sortes de choses, Moloch vivant de l’art protéiforme d’aujourd’hui. L’art contemporain qui n’a plus aucun code visible et invisible. Et l’ensemble produit un effet euphorisant et artistique. Chaque âme qui a mis une partie de soi dans toutes ces choses, du plus kitch au plus pauvre, au plus poubellisant. De la virtuosité technique au dessin d’enfant, au gribouillis d’inconscient, c’est l’inspiration et aspiration à un autre monde qui se révèle dans le temple international du marché de l’art. Le fric partout ? Oui ! Les morceaux de la vraie croix d’un culte de l’argent ? Aussi, pour partie. De l’exaltation à chercher un horizon transcendant ? Cela n’est pas à douter.
Une exposition à Beaubourg au début des années 2000, dans laquelle on exposait des figuratives de Picabia (1942), a remis au goût du jour la possibilité de peindre et de façon figurative : Cher peintre, Lieber Maler, Dear Painter, peintures figuratives depuis l’ultime Picabia. Le titre faisait référence à l’artiste Allemand Kippenberger dont la première exposition s’intitulait : " Lieber Maler, male mir ", "cher peintre, peins pour moi ".
Ouf, l’atelier du peintre est possible…
Pour clore ce chapitre, voici une photo de la visite par la compagnie de l’atelier du peintre Charles Belle.
Pour réaliser ce dessin au crayon d’une dame de Rochejean, son village, à la frontière suisse, Charles dut travailler en cachette de ses professeurs et planquer ses dessins : au milieu des années 70, à l’Ecole des Beaux-arts de Besançon, ce genre de dessin était interdit.
La dictature du commentaire sévissait. Et il fallait être abstrait ou ne pas être….
Connards !
Toutes les œuvres sont possibles dans l’atelier du peintre, toutes les références également.
Nous allons donc garder pour notre spectacle les œuvres, depuis les ombres d’Adam et Eve de Masaccio aux folies de son corps des adeptes du Body Art en passant par la Vénus de Cucuteni, les rayures de Buren ou les montages de Boltanski… pas de jugement.
Ce spectacle ne sera pas une somme d’opinions sur les œuvres ou les mouvements artistiques, pas de commentaires, pas de jugements, pas de controverses sur les sexes des anges de l’art ou l’économie du secteur.
Ne pas faire de commentaires (en lire, certes, c’est impossible d’y échapper).
Traverser mille et un commentaires. Des plus beaux aux plus cons. M’énerver sur les commentaires. Plus intéressant, la parole des artistes. M’émerveiller sur les œuvres. M’attendrir sur ce qui aurait dû m’énerver, par exemple :
Beuys, Kounellis, Kieffer, Cucchi, "Bâtissons une cathédrale", Entretiens, Ed. L’Arche. (Et même Beuys cherche s’il y a un peintre dans l’atelier…)
L’intelligence de cette âme… reste donc la question du sens.
Et pour l’atelier du peintre, cette question posée à l’art, de la transcendance ou de l’absurdité, est au cœur de la réflexion.
Et si nous choisissons ce sujet, c’est qu’il parle de toute démarche artistique, quel qu’en soit le support.
L’art est-il, comme l’écrivait Mark Rothko, un "genre de chose bien particulière, une espèce naturelle qui, comme toute espèce du monde physique, suit des lois propres et bien définies" ?
Une espèce naturelle, une obligation biologique, l’art constitutif des lois de l’évolution ?
Ou bien, après la mort de Dieu décrétée par Nietzsche, après la mort du sens du mot décrétée par Mallarmé, après la mort du "je" décrétée "autre" par Rimbaud,…la mort de l’art décrétée par un peu tout le monde des "décréteurs" de la mort (La mort du cirque a été maintes fois décrétée et aujourd’hui j’ai entendu parler de la mort du cirque contemporain !).
L’artiste n’est-il pas aujourd’hui cet "Homo ludens", le danseur Nietzschéen à l’orée du rien ? C’est celui qui sait que "toute parole est jeu de mots, que les signes sont sans piste", comme le décrit George Steiner.
L’art est-il un jeu sans enjeux, un langage aux paroles vides de sens ?
Ou l’art est-il une absurdité, une impossibilité ? Comme la vie ?
Nous parions sur la possibilité de sens. À l’art et à notre vie.
Parier sur l’être.
Parier sur le sens.
Parier sur la beauté du monde.
Dans l’idéal de mon atelier du peintre, dans mes modestes tentatives de créer, je me reconnais totalement dans le texte qui précède. Sans prétendre y atteindre la perfection de ces maîtres, j’affirme que c’est cette philosophie qui traverse le Cirque Plume et qui cherche à travers une balle qui danse sur un jet d’eau ou un rond de lumière dans la main d’une ombre vivante, une résonance avec nos semblables et avec l’univers. Ainsi nous parlons de notre recherche de résonance à l’aide d’une poétique, la plus simple qu’il nous est donné de créer (hélas toujours si grossière). Sans que cela soit un but ou une pierre philosophale que nous chercherions sans relâche, je prétends ici que la recherche de cet Écho dont parle François Cheng est le chemin que nous empruntons à la mesure de nos petits pas.
"La beauté sauvera le monde" (Dostoïevski).
"La vraie beauté - celle qui advient et se révèle, qui est un apparaître-là touchant soudain l’âme de celui qui la capte - résulte de la rencontre de deux êtres, de l’esprit humain avec l’univers vivant. Entre l’œuvre de beauté, toujours née d’un " entre ", est un trois, qui jaillit du deux en interaction, permet au deux de se dépasser. Si transcendance il y a, elle est dans ce dépassement-là." François Cheng, Opus cité
Cette philosophie est à mes yeux celle que je cherche, que je poursuis, depuis le début du Cirque Plume. Totalement hanté par les barbaries du XXème siècle et ce, depuis mon enfance, j’ai trouvé la seule voie qui me permit de vivre : celle de la création artistique et celle d’un échange vrai autour d’émotions et de beautés qui toutes prennent leurs racines dans la beauté du monde. Cette beauté incompréhensible et stupéfiante.
De l’échange de regard avec un renard sur le chemin de la promenade à la beauté infinie d’une goutte d’eau au centre d’une feuille de rhubarbe, en passant par la peinture, la philosophie ou la poésie, je crois toujours que cette réalité de la beauté du monde peut conduire notre vie et notre morale de vie. Elle peut se décliner en modestes œuvres de cirque à partager.
Ce 15 février 2009 est un dimanche (extrait n°15 du 15 février 2009)
Un dimanche de froid polaire avec du soleil et des éclats de rire dans la rivière.
Depuis une semaine nous avons commencé le travail de réalisation de "L’atelier du peintre".
Vendredi la nuit, je n’ai pas dormi. Peu en tout cas.
Samedi, en famille, nous avons regardé le DVD du spectacle "Toiles" (qui vient de sortir dans la collection "Notre histoire").
Le film a été fait avec plusieurs sources d’images différentes, souvent très dégradées. Ça donne un air ancien qui va avec le temps qui passe. Je n’aime pas les vidéos des spectacles vivants, pourtant j’ai bien aimé regarder celle-ci et tout le reste.
Quand même, on a déjà fait des trucs dans la vie ! C’est ce que je me dis, pour me rassurer…
Un peu les jetons.
"L’atelier du peintre"… ça fait peur, hein ? Je ne sais pas vous, mais moi, si !
Cette première semaine de travail a été bien remplie et nous avons fait du bon boulot.
Nous mettons en place les structures de scénographie qui nous permettront de faire les choix nécessaires pour fabriquer le matériel. Les choix dans ton panier, au début d’une création, tu en as autant que de carottes la ménagère de moins de 50 ans dans le sien au marché (voilà un genre de phrase que Dom apprécie tout particulièrement ! Allez Dom, laisse-la moi, c’est un cadeau pour la St Valentin !).
Tout tourne dans tous les sens et ce sont justement tous les sens que nous nous efforçons de développer, et aussi à donner un sens et non tous les sens, dans tous les sens. Vous comprenez ? Non ? Ben voilà, c’est exactement pareil pour moi et c’est pourquoi je n’ai pas dormi vendredi.
En bref j’aimerais être rassuré. Et je ne le suis pas, car cela n’existe pas : j’ai plein d’images, de beaux univers, d’artistes formidables, de musiques supers… Mais ce que nous cherchons, ce que je cherche, c’est le poème.
Dans le dico, il y a plein de mots, mais… le poème…
J’y pensais ce matin, en marchant dans la neige et en regardant la bagnole dont la photo a servi de support à ma carte de vœux de cette année.
Est-ce un poème, cette vieille bagnole qu’un frêne ou un érable mange ? La neige, la forme de la tâche de neige, est-ce une oeuvre ? Poème, le volant dérisoire d’un véhicule automobile à la retraite qui n’ira jamais plus polluer notre terre ? Poème, la craquante petite tâche de mousse dans l’orifice du phare gauche ?
Où est le poème ? La rondeur romane de l’épave ? Les branches sèches de Renouées du Japon ou l’ocre du champ derrière ? Mon regard, mon âme, au moment où je m’arrête pour regarder l’Aronde ?
Qu’est-ce qui crée ou ne crée pas le poème ?
Je pense qu’il y a un poème dans cette composition (je ne parle pas de la photographie, mais de ce que montre la photo).
Je suis d’accord avec le poème dans l’instant où cet accord le fait naître, exister grâce à cet accord.
Bien entendu, nous avons des références qui aident…
L’ancien : décoré par le temps, il nous apparaît souvent plus émouvant que le neuf.
Le sens de la scène : l’arbre pousse dans l’automobile, la nature reprend ses droits. Cette idée revancharde, en ce temps de subventions à l’industrie automobile, est de nature à nous émouvoir.
Trois arbres ont poussé là dans les entrailles de la ferraille : trois arbres, comme ceux de Rembrandt qui, eux, font référence aux trois croix du Golgotha. La crucifixion à l’envers. Les Romains rouillent et les croix, redevenues arbres, attendent le retour des feuilles et des nids d’oiseaux.
L’ombre lavande de la neige autour du bleu de la voiture nous indique que nous sommes dans un temps d’attente froid, sec et vivifiant qui annonce le printemps, le dénouement, la solution… le volcan de la vie couve sous l’apparence de l’immobile.
Alors, le poème ?
Alors le poème !
La 1ère et la 2ème et les suivantes semaines de création sont un pareil poème possible et universel d’une vieille bagnole traversée par la vie.
Tout va dépendre de notre désir.
Ainsi, à la fin de cette 1ère semaine de création, je me posai la question : où est le poème ?
Je l’ai cherché et trouvé ce matin, glacé au bord de la Furieuse où je le savais dormir en attendant les regards.
Pour l’instant c’est ce que j’ai à partager avec vous.
Pour les autres infos, la neige a un peu envahi le chapiteau mais Xavier se charge de la balayer, dans un ballet aérien qui épate les riverains.
Je vous embrasse.
Bernard Kudlak