Le Parisien30 septembre 2018
Adieux. Le dernier envol du Cirque Plume
Comme c’était tendre et léger ! Ces enfants qui rient et apostrophent ces clowns sans nez rouge. Ces adultes aux yeux presque embués devant les adieux du Cirque Plume, qui présente « la Dernière Saison », son ultime spectacle, à la Villette, avant une longue tournée française.
Une soirée, un an pour leur dire au revoir. Pas à tous. Depuis la fin des années 1980, cette compagnie qui a ouvert la voie du « nouveau cirque » qui joue sur une scène, pas une piste, s’est beaucoup renouvelée. Les acrobates, contorsionnistes et équilibristes sur le fil sont des jeunes femmes, mais les fondateurs aux cheveux gris ou blancs font les fous avec elles. Et comme c’était touchant aussi ce mélange des générations sur scène. Cette audace de jouer avec son âge, pas la vieillesse. Ces clowneries entre messieurs d’un âge certain ventripotents, quelle bonne idée ! Bedaine d’amour et d’humour. On rit de bon cœur à leurs facéties incroyables. Un corps est poétique, sans être forcément athlétique. Et pour redécoller, cette poésie des ombres chinoises, leur signature depuis leurs débuts, et ce charme d’un orchestre de village, tantôt jazz, ou rock.
Un cadeau
Sur scène, une forêt. Des légendes. Celles de leur Jura natal. Une femme traverse en équilibre sur des bouteilles, on a cru voir quelques magnums, clin d’œil de fête finale. Il y a un Père Noël, « la Dernière Saison » tient du cadeau qui ne reprend pas des moments des anciens spectacles mais en rappelle l’essence, cette façon de faire corps entre musiciens et circassiens, tous à l’avant-scène, en mouvement perpétuel. Être mi- humain mi- animal, génial imitateur de cris de bêtes - notre voisine trouvait qu’il y en avait un peu trop, pas nous, on aime ces blagues-là, se mettre sur les pattes arrière, faire la chèvre, attaquer comme un molosse ridicule -, une sorte d’haltérophile loufoque mène la danse. La contorsionniste traverse les plumes, les feuilles et la neige en ski de fond, sommet de grâce, de technique et de délire.
Allez-y en avance. Ces gens-là savent recevoir. Une soupe de pois cassés, un sandwich comté-noix, un jus de fruit pommes-coings, on est un peu à la campagne chez ces poètes saltimbanques du Jura. Ils arrêtent, après huit spectacles à la Villette depuis 1991, et d’autres avant, parce qu’il le faut bien un jour. « Un spectacle qui traverse les saisons, comme on traverse les âges », écrit Bernard Kudlak, le fondateur et metteur en scène, dans le texte de présentation. Sur scène, son frère Pierre, Monsieur Loyal délicieusement bancal, finit ou plutôt commence à poil mais si joliment : rassurez-vous, on ne voit rien, mais ce n’est pas truqué et il est si drôle ce petit numéro de la fête du slip. L’âge d’une bonne bouteille. Un cru classé que cette « Dernière Saison ». On salue une troupe qui réussit à merveille ses adieux. Ils volettent. La plume, c’est ça, une légèreté d’oiseau, d’un arbre ou d’un mât à l’autre. Mais il faut du lourd aussi, cette humour gaillard et un peu trivial qui nous emporte. Pierre, feuille, ciseau, on veut encore jouer avec Plume.
Yves Jaeglé