Libération
9 octobre 2014

Plume en vol plané

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Après avoir longtemps incarné le renouveau du genre, la compagnie fête ses 30 ans à la Villette avec un spectacle paradoxalement passéiste.

Poids lourd du cirque français, Plume fête ses trente années de cabrioles avec un nouveau spectacle, Tempus fugit ? Une ballade sur le chemin perdu. Et la commémoration ne passe pas inaperçue, avec une tournée étalée sur trois ans (de Besançon, au printemps 2013, à Perpignan, fin 2015), dont, rien qu’à Paris, une campagne d’affichage massive qui a précédé plus de trois mois de représentations, prévues jusqu’aux fêtes de fin d’année à l’Espace chapiteaux de la Villette (configuré, une fois n’est pas coutume, de manière frontale).
Des millions d’euros sont en jeu et des dizaines de personnes sur la route pour célébrer ainsi un des noms les plus évocateurs de ce que l’on nomma dans les années 80-90 le « nouveau cirque », soit une salutaire entreprise de « déringardisation » du genre, conjointement menée par d’autres troupes telles que Zingaro - qui récusera le mot « cirque » pour un plus honorable (?) « théâtre équestre » -, Archaos, Aligre, puis les Arts Sauts, Que-Cir-Que, etc., ainsi que le toujours actif Centre national des arts du cirque (Cnac) inauguré en 1986 à Châlons-en-Champagne.

MAGIE. Beaucoup ont mué ou disparu depuis. Pas Plume, à l’origine fusion franc-comtoise de trois bandes (Fanfare Léa Traction, la Gamelle aux étoiles, le Magicien de balle), qui en arrive donc à sa dixième création, dans le prolongement de plusieurs morceaux de bravoure principalement situés dans les années 90, comme Toiles ou l’Harmonie est-elle municipale ? Le cirque contemporain a eu pour particularité d’intégrer d’autres disciplines, telles que la danse, le théâtre, la magie, la vidéo ou les arts numériques et ses francs-tireurs les plus inventifs ; jusqu’à développer des formes parfois si furieusement hybrides qu’on finira par les qualifier d’inclassables : Mathurin Bolze, Johann Le Guillerm, Camille et Raphaëlle Boitel, Aurélien Bory ou Jérôme Thomas.
Préservant une âme de saltimbanques, Plume n’évolue plus à l’évidence dans ce secteur de pointe. Notablement dépassée sur ce terrain-là, la compagnie tente plutôt de ménager un compromis autour d’un show à la fois familial et distancié qui chercherait en permanence à escamoter les lourdeurs inhérentes aux dimensions de l’entreprise. Pour ce faire, « spectacle délibérément festif qui célèbre toutes ces années de désir, de joies et de peines », Tempus fugit ? carbure à la nostalgie, surlignant une tournure passéiste à la longue déconcertante pour une compagnie qui, précisément, a longtemps symbolisé l’inverse.
Dans son texte de présentation, Bernard Kudlak, l’âme de Plume (ici auteur, metteur en scène et directeur artistique), cite les séquelles d’un « XXe siècle de barbarie » et des « crimes de la décolonisation » pour mieux convoquer les « désirs sans limites » et la « démocratisation culturelle » ayant présidé au développement de Plume qui, en 2014, trimballe des clichés si élimés qu’ils renvoient à une époque bien antérieure au lancement de la troupe, de la vieille blouse de maître d’école du présentateur Pierre Kudlak (frère de, et autre représentant du canal historique) au flash au magnésium pour la photo de famille.

GLOSSOLALIE. Pour faire passer la pilule du temps perdu - qu’on ne rattrape plus, comme éructait Bernie Bonvoisin -, Plume fait la part belle à l’humour et la poésie, deux leviers "maison" qui ne fonctionnent pas aussi bien l’un que l’autre. Envahissant, le premier en vient même à lester le propos avec l’empilage intempestif de numéros comiques où, sur la durée, la glossolalie de Mick Holsbeke fait surtout pouffer les (tout) petits. Longues et répétitives, les séquences burlesques, ou supposées telles, sont cependant compensées par d’autres numéros en majorité exécutés par des filles qui élèvent le débat.
Mât chinois, trapèze, équilibrisme ou danse sur fil, Plume virevolte alors, rappelant la légèreté dont la compagnie est capable, à l’image de ces élégantes séquences où une poursuite rouge projetée sur un immense tissu suggère un gros ballon avec lequel jongle une ombre ; ou quand une facétieuse partition s’échappe de son lutrin pour jouer des tours au violoniste qui lui-même se déplace dans les airs. Preuve s’il en est que Plume connaît la musique, omniprésente - avec une prédilection pour les cuivres - jusqu’au finale en fanfare. Au sens propre, plus que figuré.

Gilles RENAULT