Nuages (extrait n°21 du 9 octobre 2003) par Bernard Kudlak
Le 7 octobre 03.
En attendant le 20 octobre, début de notre nouvelle période de travail pour "Plic Ploc". Tout le monde attend maintenant, aux trois coins du monde.
C’est un peu comme des trains qui sont partis il y a quelques mois et qui auraient rendez-vous à Salins.
On entend parler d’eux, ils sont ici, ces deux-là se sont croisés ici… ou là. Nous nous parlons un peu par Internet ou téléphone.
Robert, Patrick et Nicolas sont allés à Lyon acheter des calebasses à eau, et "feuner" dans le magasin de percussions. Puis Patrick s’est verni les calebasses…
Sylvaine s’entraîne à la piscine d’eau salée de Salins les Bains (d’eau salée).
Mark et Laura téléphonent pour dire qu’ils voyageront avec leur bascule, car elle est vraiment bien, et dans l’avion, c’est possible.
Piotr prend des cours de souba, et Brigitte vient de faire un concert jazz avec des amis : c’est un pas vers sa transition de danseuse de corde en musicienne à temps complet.
Robert glane les notes et cueille des mélodies. C’est de saison.
Nicolas travaille d’arrache-pied le cornet à piston, un vieux acheté dans une brocante qui est un très bon instrument.
Fred et Martin reprennent la tournée des "Sublimes" d’Alloucherie pour cet automne, en France.
Je n’ai pas trop de nouvelles de Maél. Bon… on se voit dans quinze jours.
Alain et Lolo, on se voit tout le temps dans "Récréation" : ils bossent l’instrument et Lolo dort sous la tente à Venlo…
Nous avons lancé la fabrication des éléments du spectacle : un plancher, un aquarium, les systèmes de jets d’eau, un rideau d’anneaux.
Il n’y aura pas de décor, aucun. Je cherche comment créer des séparations, non avec des tissus mais avec de la lumière de laser.
J’ai réuni les comptes-rendus de répétition dans un descriptif de travail, pour que les artistes se "mettent dedans".
Robert a besoin qu’on répète les scènes encore vierges, pour donner sens à l’ensemble de la musique. J’espère que nous aurons, à l’issue de cette prochaine période de répètes, une bonne vingtaine de minutes réalisées.
D’habitude, à l’issue des répétitions, nos spectacles ne sont pas tout à fait prêts, à cause des conditions de temps que nous nous donnions. Ayant fait un travail préliminaire, nous devrions être prêts à l’heure. Reste que la partition du public (sa participation) ne peut se faire qu’en spectacle : à ceci près, nous serons prêts.
9 octobre.
Nous jouons ce soir au théâtre de Caen. Hier, j’ai eu contact avec un intermittent du mouvement de Caen, sympathique, ouvert et chaleureux. Donc tout va bien.
Ce matin, ma pensée allait vers l’Espagne : notre amie et ancienne artiste du Cirque Plume, au temps de "Spectacle de cirque et de merveilles" des arènes de Lutèce de Paris, Elsa Moréno, nous a quittés.
Je regardais le soleil jouer avec les nuages de Normandie, pensant que des rayons parallèles à ceux que nous recevons ici éclairaient, quelque part dans la montagne des Asturies, un petit cimetière où repose, depuis ce matin, le corps d’une artiste partie trop tôt.
Elsa était joie et énergie. Elle avait été formée par le frère du célèbre clown Charlie Rivel : Rogelio Rivel. Elle l’appelait "mon maître".
Les sourires d’Elsa nous faisaient fondre. Elsa était devenue marionnettiste à Philadelphie et nous avait rendu visite à New York, en 2001. Déjà, elle connaissait son mal, de nature génétique, et l’affrontait avec une lucidité et un courage extraordinaire dont elle nous a fait cadeau. Elle était venue voir "Récréation" aux premières, mais n’avait pas de numéro prêt pour y jouer comme invitée. Elle était revenue nous visiter, au cours de ses deux dernières années. Et la semaine dernière encore, nous nous parlions au téléphone.
Je suis très très triste.
On ne sait pas quoi faire avec la mort des amis, des aimés. Je regarde les fleurs, le soleil, les nuages. Ce sont les seules prières que je sache réciter. Ce matin, le bleu des fleurs de sauge dans un bac municipal, comme une note infinie...
Les gens qu’on a aimés font partie de nous, comme nous nous faisons partie d’eux. Et cette partie ne partira jamais.
Un jour m’a fille m’a dit que quand le temps n’existera plus, l’amour qui nous unit existera encore.
Quand le temps n’existera plus, l’amour qui nous unit existera encore : voilà ce qu’on peut faire avec la mort.
Et les nuages, les merveilleux nuages…
Te quiero Elsa, nous jouerons pour toi, ce soir.
Le 9 octobre 2003
Bernard Kudlak