Le nez de clown (juillet 2015)
L’objet dont je voudrais vous parler est si particulier que sa présence qualifie celui qui le porte et par cette parure, nous le connaissons parfaitement.
Ce personnage pourrait ne pas porter cet objet que nous le verrions encore.
Cet objet, si important, si particulier que même en son absence, il existe.
L’absence réelle de l’objet ne le détruit pas.
Cet objet particulier…
Un masque.
Il est le plus petit masque du monde.
Quelquefois sculpté à même le visage par un abus de vin doux contre la vie dure.
Une simple planète allumée par le couchant d’un soleil écarlate.
Ecarlate ? Eclatante cerise lumineuse sur le gâteau blanc d’un autre masque.
Le masque de la bouffonnerie des anciens paillasses du théâtre de foire descendus de leurs tréteaux.
Un masque que l’on porte sur le nez.
Un nez que le clown porte sur son âme.
Un nez
De clown
Le nez de clown.
Il est la bouée de secours de celui condamné aux rires, aux coups, aux lazzis et à la méchanceté naturelle des directeurs de cirque, des enfants, de leurs parents, des puissants et des fâcheux. Ce petit masque est si important, si protecteur que quand bien même le clown n’en porte pas, il continue à exister, ce nez, cette âme, à cause des méchants, des puissants et des fâcheux. Charlie Chaplin en est le plus bel exemple. De Clown.
Le clown. De l’anglais "clod", qui signifie "paysan", "colon" et par extension "rustre".
Costume éternel d’un bouffon particulier, paysan apeuré, incapable et pleurnichard. Inventé par les Banquistes, les tziganes, les voyageurs, les marginaux pour se moquer, se venger.
Clochard terrestre devenu clochard céleste. Ainsi en a décidé la poésie vivante partout autour du monde.
Il est né, ce nez, d’un pauvre valet, palefrenier, tailleur de l’armée anglaise qui trébuchait à chaque pas dans le sable et la sciure de cette arène militaire où, à la fin du XVIIIème siècle, peu avant la révolution française, à Paris, un sous-officier Anglais, Philip Astley accompagné de quelques militaires réformés et en mal de bataille, tournaient des sauts périlleux sur leurs chevaux préparés pour la parade. Le premier Clown s’appelait Billy Saunders.
Et cette nouvelle forme de spectacle "le cirque moderne". C’était en 1774.
Le grand cinéaste Federico Fellini disait que le clown était l’ombre de l’homme. Il disait : "Quand le soleil de l’homme est bas sur l’horizon, le clown est grand. Quand il sera au zénith, les clowns auront disparu."
En 1984, en France et au Québec se déroule une révolution dans les arts du cirque. Le Cirque Plume et quelques autres compagnies réinventent d’autres formes de cirque.
Le nôtre, le Cirque Plume, cherche la poésie, la fragilité, la rencontre.
Nous jouons avec la lumière, avec les ombres.
Un jour de répétition, un jongleur de la compagnie, maladroit, lassé de trop souvent perdre sa balle décida de jongler avec une balle invisible.
La lumière était telle que l’ombre de ce jongleur se projetait sur un drap blanc en fond de piste.
Le jongleur n’avait pas d’objet dans la main.
Le jongleur ne tenait qu’une absence. Cela lui permettait de se baisser moins souvent.
Sur le drap derrière lui, dans sa main, son ombre tenait une petite boule rouge.
Il laissa jouer son ombre.
Il laissa jouer son âme.
Trente ans plus tard, juillet 2015, le Cirque Plume est à Sao Paulo au Brésil.
L’ombre de tous les clowns nous accompagnera toujours.
Celui que vous rencontrerez à cette occasion porte une belle absence de nez rouge et une grande présence de celui-ci.
Peut-être continuera-t-il la rencontre de la joie du clown et de son ombre ?
Ombre de l’ombre de l’homme.
Dans la danse de la présence absence du petit masque si joli, qui alluma nos enfances.
Bernard Kudlak
21/07/2015
Ce texte a été écrit à l’invitation du journal brésilien « FOLHA DE S.PAULO », dont la version traduite a été publiée sur le site de ce journal.
Voir sa publication en ligne http://www1.folha.uol.com.br/ilustrissima/2015/07/1659951-o-nariz-de-palhaco.shtml