La réunion pour le prochain spectacle (extrait n° 2 du 22 août 2002) par Bernard Kudlak
Le temps… Le spectacle de cirque se passe dans le temps particulier de l’événement en train de se dérouler. Le cirque demande également de mettre en scène l’impossible, le rêvé, le fantasmé. Il met en acte nos croyances, nos espoirs, nos joies, nos souffrances, et dans le temps immortel qui passe à l’instant même. C’est en cela que nous avons des liens avec le temps des rites et des mythologies.
Imagines-tu que le prophète aux yeux tristes est venu sauver le monde quatre mille ans après le jardin d’Eden ? On avait le sens des proportions en ces temps….
Un metteur en scène, des fois on se demande à quoi il sert. Enfin moi ! Peter Brook a plein d’idée là-dessus, ça rassure un peu.
Le Cirque Plume commence à travailler sur une création et je me propose de dire ce qui se passe. Dans ce petit journal.
Nous avons discuté ce matin : du thème (la flotte), des artistes, des musiciens, de se tromper, de réussir ou d’échouer. De l’engagement.
Nous avons fait un calendrier pour construire la méthode de recherche.
"Je ne cherche pas, je trouve", disait Picasso : je me souviens d’avoir cité une fois cette phrase dans un congrès, et de m’avoir trouvé l’air con d’avoir dit ça.
Pour l’instant ce que je trouve, c’est qu’on cherche.
Et ça va comme ça. Déjà qu’on va mourir (Leni Riefenstahl a eu 100 ans le 22 août : c’est plein de sentiments et de réflexions, d’énoncer cette nouvelle).
A la réunion "Prochain spectacle" de ce matin, j’ai fait part de mon désir de faire le dossier de création de "Plic Ploc" sous la forme de ce petit journal que vous lisez en ce moment.
Nous avons pris le temps de parler de l’opportunité de cette démarche. Et conclu que j’allais le faire.
N’y dire que mes trucs ? On relit en groupe ou on relit pas ? Ce qu’on vit, c’est la création ? J’aime que Dom Rougier me relise, j’enlève les conneries… Il passe un temps significatif à cela : à corriger mes textes.
Même mes associés, ils sont doués pour les remarquer, les erreurs ou maladresses, du premier coup d’œil ! Et ça me préserve. Ça aussi ça rassure. C’est la force du Cirque Plume. C’est surtout le Dom qui bosse, les autres ils s’en informent et commentent.
Un journal surtout, c’est pour le plaisir. Hier j’ai lu le journal littéraire d’André Blanchard (éditions Erti), en parlant de plaisir…
Mêler l’envie de l’écrit à la création. On fait bien de la vidéo dans la danse. Et je ne parle pas des arts plastiques, je m’énerverais…
Discerner le collectif du particulier, tricoter le particulier avec d’autres particuliers pour comprendre un peu le collectif.
Et le temps, toujours le temps. Voyager dans le temps immobile ou voyager immobile dans le temps galopant ?
Faudrait faire un sondage.
En parlant de ça, vous avez vu les sondes "Voyager" ? Qu’ont-elles de commun avec le prochain spectacle des Plumes ?
Qu’on y envoie des poèmes ? A l’usage des improbables récipiendaires des étoiles qui verront arriver vers leurs planètes habitées nos mercures poussifs de l’espace ? Un jour. Le voyage des sondes, en dehors de la zone d’influence du soleil, est commencé.
La première étoile est en vue. Ces deux sondes "Voyager" arriveront vers la première étoile avec des informations nous concernant, de l’art, de la science, des poèmes dans… 40 000 ans (journal "le monde" du 16 08 2002).
C’est plus ces 40 000 ans là qui rapprochent "Plic Ploc" de cette information que les poèmes. Une création, une réflexion, de la poésie, un voyage et des spectateurs. Comme nos camions. Pas trop vite.
C’est comment la nouveauté, dans une création de cirque ? Le Cirque, art du temps immédiat……
La gueule des petits hommes verts quand ils verront approcher les mobylettes spatiales émergeant du cosmos avec des nouvelles fraîches d’il y a 40 000 ans !
Qui émergera de notre espèce, sur la belle bleue, 40 000 ans après notre Eden ? Ou après notre Enfer ? C’est selon !
Nouvelles fraîches de l’autre coté, par-dessus le rien. Voisine de galaxie de notre bon vieux soleil. Un milliard d’étoiles dans la galaxie. 40 000 ans de ballade en mobylette. Et des milliards de milliards de galaxies.
Sous les chapiteaux des cirques traditionnels, les ciels sont étoilés. Mais le cirque traditionnel, art du présent, c’est du passé, disent certains commentateurs forts de leurs certitudes.
Un passé de 40 000 ans de cirque, ça, ça aurait de la gueule.
Plic Ploc, tombent les gouttes du temps.
À SUIVRE…
Le 22 août 2002.
Bernard Kudlak
Directeur artistique