La loutre (extrait n°3 du 2 septembre 2002) par Bernard Kudlak
Dimanche, je préparais la rentrée des filles. Puis j’ai marché dans la rivière.
Le petit chapiteau est monté dans la cour de la faïencerie à Salins les Bains. La faïencerie est abandonnée depuis quelques petites années : une multinationale avait racheté le tout. Coopérante, la mairie a fait venir le gaz de ville pour équiper les locaux et pour les fours, puis mis en état ceci, cela... Très cher pour une ville de 3500 habitants. Quand tout a été prêt, la multinationale s’est barrée et a viré tout le monde. Reste plus qu’aux citoyens de Salins à payer les investissements. Ça porte un nom : libéralisme !
C’est la friche, car tout a été démonté et cassé.
La ville nous prête l’endroit. Ce qui n’est pas simple, car l’endroit n’est pas à eux : c’est à la communauté de communes qui nous prête donc en fait l’endroit.
Un des grands plaisirs de la vie, d’autant plus goûteux qu’il n’arrive pas si souvent, c’est de chausser des nouvelles bottes. En caoutchouc. Comme les vieilles étaient devenues poreuses, j’étrennais les nouvelles dans "La Furieuse".
J’en salive encore du souvenir-plaisir. Vu passer un cingle et des bergeronnettes des ruisseaux.
Puis me suis permis de papoter avec des pêcheurs du hameau d’à coté qui étaient arrêtés en admiration devant les miroirs bleus d’un groupe de colvert. Et dire qu’ailleurs, c’est l’ouverture de la chasse aux canards à cause des promesses des démagogues en campagne. Ça les attristait, mes pêcheurs à la ligne qui aiment la rivière et la nature. Mais quand on voit tout ça !
De fil en aiguille ils m’ont lâché l’info : ils ont vu une loutre. Entre Noël et Nouvel an. A quelques kilomètres.
Une loutre. C’est une nouvelle inespérée. Reste bien sûr à vérifier et à voir si il y a un couple qui niche, mais c’est une sacré bonne journée : des bottes neuves, et la possibilité du retour de la loutre. Je repris ma promenade au fil de l’eau en pensant qu’il y avait eu une longue période pendant laquelle une catiche représentait vraiment quelque chose pour les gens.
Tout le monde savait et voyait bien à quoi ressemblait une catiche. En tout cas j’imagine ça.
Aujourd’hui … Posez la question, on vous répondra : une courtisane, une catin riche. L’autre pétasse de la république qui amusa la galerie un temps, avec des pompes de ministre en poil de loutre ?
C’est, vous l’avez compris, la cachette et le nid des loutres. Dans la berge.
Aujourd’hui, ce mot n’a plus de sens pour beaucoup d’humains.
Et autrement plus que je ne le croyais ! Car, à ce propos, je cherche le mot dans le Grand Robert : absent ! Dans le Larousse : absent ! Je regarde dans mes guides d’animaux sauvages : le mot y est dans certains, mais pas tous. Nom vernaculaire ? Je l’ignore. J’appelle le journal "La Hulotte" qui me confirme l’usage de ce mot dans des ouvrages spécialisés. Mais est surpris de son absence dans les dicos
. Le monde, la nature, la terre, c’était aussi des mots qui représentaient vraiment quelque chose pour les gens. Aujourd’hui encore aussi, je crois. Mais demain ? Quand on voit le sommet de Johannesburg, on peut se le demander.
T’imagines le mot "nature", un jour absent d’un dictionnaire ? Et ceci bien avant que ce dernier ne soit absent de la nature ? Frissons dans le dos.
Pour essayer de faire quelque chose, nous commençons les répétitions de "Plic Ploc", ce jour du 2 septembre 2002 sous chapiteau dans la cour de la faïencerie abandonnée. Sera-ce suffisant pour sauver la planète ?
Pour la loutre, ne le répétez pas, je connais une poignée de crétins qui rêveraient de lui mettre un coup de fusil ! A la planète aussi ! Une certaine quantité de coûts de fusils… A SUIVRE…
Le 2 septembre 2002.
Bernard Kudlak
Directeur artistique