C’est parti pour le dernier (extrait n°37 du 18 mai 2004) par Bernard Kudlak
Lundi 3 mai (avant-avant dernier filage).
J’espère que Loulou ne lit pas régulièrement mes lettres, parce que dans la précédente, à son égard : coquille ! Comme notre va et vient de textes avec Dom (écriture, lecture, correction, etc…) est un peu relâché avec le peu de temps que me laisse la création pour écrire, je n’ai pas été clair. Dom a interprété une phrase et comme je n’ai pas relu faute de temps…
Donc : Loulou, elle, est l’amie qui joue du tampura dans l’orchestre de Shivu Taralagati, c’est aussi la manager, la secrétaire, la directrice et l’organisatrice des tournées. Et non pas le tablatiste. Excuse Loulou, et grosse bise.
Les amis, j’écris en vitesse, car j’ai filage ce soir, et générale en public dans trois jours… Puis avant-première mondiale vendredi.
J’aime bien le "mondial". Ben oui quoi, Salins les Bains en avant-première mondiale… Y’a pas qu’ailleurs que c’est mondial !
On est prêt. Mais faut pas le dire. Ça la fout mal d’être prêt pour une avant-première ! Parce que si l’échange avec le public n’est pas à la hauteur de nos espérances, on peut plus dire après "mais on n’est pas tout à fait prêt".
Rectifions : les dix premières, c’est fait pour connaître le spectacle qu’on a côtoyé pendant 3 mois, on le découvre petit à petit avec le public. Avant, on peut pas. Parce que, avant, sans public, la partition n’est pas complète.
Mercredi 5 mai 2004 (couturière).
Depuis hier mardi, on peut dire que le spectacle est prêt. Vraiment.
Je l’avais dit lundi, c’est écrit ci-dessus, mais je me vantais.
Le filage de vendredi nous montrait que nous devions retravailler fort 5 moments, ainsi que divers détails. Lundi soir, nous pensions que c’était bon. Raté ! Il convenait de passer la journée d’hier mardi à peaufiner 3 moments, et d’abandonner une transition et ses effets pour une autre, mûrement réfléchie dans l’insomnie de ce matin-là ("Plic Ploc" fut une création des réveils très tôt !).
Et le soir, donc hier, c’était bon. Nos amis du Théâtre de l’Unité sont venus pour le "regard extérieur" au dernier moment. Verdict : "C’est un grand cru". On les croit : comme c’est pas le genre à la flagornerie, Hervée et Jacques, c’est du baume au cœur pour aborder, le cœur battant, demain, le public.
Aujourd’hui, nous avons également encore travaillé toute la journée, mais nous savons que nous sommes prêts.
Filage ce soir, bien sûr, mais ce que je souhaite, c’est que nous ne répétions pas ou très peu demain. Seulement se préparer au spectacle.
(… 8 jours d’impossibilité à écrire une ligne …)
Vendredi 14 mai (une semaine après la première…).
8 jours de silence ? Une semaine de spectacle, en public. Un peu de pluie, beaucoup de beau temps. J’ai mis une chaise longue devant le mur où mes couleuvres feignassent le plus souvent…
Alors ?
Alors quoi ?
Le spectacle ! Ben oui, quoi, y a pas que les serpents dans la vie.
Super. Un grand bonheur !
Vraiment ?
Vraiment !
Ah, mes amis, je suis content, "Plic Ploc" est sorti et c’est une réussite.
Une vraie, une belle. L’échange est merveilleux avec les gens d’ici, et avec ceux d’ailleurs, d’ailleurs, entre autres ceux qui ont acheté le spectacle avant qu’il ne soit. Ils nous ont dit être heureux de ce dernier.
Nous étions prêts dès la générale de cette série d’avant-premières. Et je crois que c’est un super spectacle. Je sais, ça ne se fait pas de vanter son propre travail, mais comme je ne veux pas être un menteur comme G. Bush, je suis bien obligé de vous dire qu’il me semble qu’on a fait du bon travail. Voilà.
C’est très bon pour le moral. Et pour la joie.
Le cadeau que m’a donné "Plic Ploc", c’est le bonheur et la joie des artistes et techniciens, à l’issue de la générale en public, jeudi il y a 8 jours. Waoooh !!
A part ça, il y a des petites pêches bien formées sur les branches des pêchers.
Chaque jour, une immense couleuvre verte et jaune se chauffe au soleil. La Vouivre me fait cadeau du spectacle de ses servantes. Je suis plutôt agnostique, et j’ai dans les tripes une horreur particulière des sectes et de la pensée sectaire. Mais j’ai aussi une tendresse et presque un culte pour cette bonne vieille Vouivre qui, depuis si longtemps, parcourt la Furieuse et la Loue. Dans mon jardin, j’ai sculpté un totem de chêne à son effigie qui porte une grande gerbe de glycines, superbement en fleur pour la première fois cette année.
Et puis un bout d’acacia tordu, puis sculpté, volé dans un tas de bois abandonné le long de la rivière et planté au beau mitan d’un carré de laitues, est devenu une Vouivre phallique et hermaphrodite. En échange, ce démon et merveille (la Vouivre est de la famille des mélusines, relisez Marcel Aimé) m’autorise à accueillir ses serpents.
Vu que je ne crois pas, les dryades, hamadryades et autres êtres enchantés chantent dans les vernes de la Furieuse. Chantent aussi tous les petits dieux qui habitent et soignent chaque petit arbre ou bosquet de prunelliers. Et je les vénère et respecte.
Le roi des Aulnes passe également de temps en temps comme dans le poème de Goethe, mais il ne me fait plus pleurer.
Lundi, pour me remettre des émotions des premières en public, je suis allé repérer, dans les communaux laissés aux épines et aux ronces, les rameaux fleuris de pommiers émergeant des ronciers. Puis sans demander rien à personne, j’ai dégagé les pommiers sauvages des épineux qui les étouffaient. Trois, en vérité, de pommiers. Pour leur donner plus de lumière du soleil. Un des trois était une boule de fleurs. J’exagère disons, plein de fleurs… j’espère au moins une belle pomme. En effet, dans les haies se retrouvent quelquefois des pommes anciennes, oubliées, disparues. Je vous dirai en automne de quelles pommes il s’agit, si je continue en ligne, encore un carnet.
Maintenant que "Plic Ploc" est en route sur les chemins des places et des théâtres, que vais-je donc devenir ?
Cher(e)s lecteurs et lectrices de ces petits riens qui m’ont aidé beaucoup à créer "Plic Ploc", je vous remercie d’avoir pensé à vous, écrit pour vous ces chers carnets. Ils ont participé à l’aventure de "Plic Ploc", et certainement ont une part au succès naissant de cette belle aventure.
Venez nous voir en tournée, les dates sont sur notre site.
Je vous embrasse bien fort et je me cherche un prétexte pour continuer ces carnets : déjà que je ne joue pas dans le spectacle, je ne vais pas tout perdre à tant gagner du bonheur de ce "Plic Ploc" très réussi, dit la rumeur… (t’en fais trop, me dit Dom, qui est sage et raisonnable !).
A bientôt ?
Mardi 18 mai 2004.
Aujourd’hui, c’est l’A.G. annuelle de la SO.A.C.D., le nom de la société du Cirque Plume. Je n’y serai pas. Une fois de plus, j’écris dans le T.G.V.. J’m’en va faire le "13-14" de France Inter. Isabelle Pasquier est venue voir "Plic Ploc" et m’a proposé d’en parler à la France Inter.
Voilà… le chapiteau est en train de se plier pour reposer dans les remorques et le spectacle se démonte pour être rangé minutieusement dans les camions afin de tout retrouver à la Rochelle dans une dizaine de jours, pour les "premières officielles".
La Rochelle. La Coursive, qui est le beau théâtre de cette ville, nous accueille depuis longtemps. Jackie et Florence nous font l’honneur de leur amitié et de leur soutien en coproduisant nos créations. Et c’est pas rien.
Je les ai appelés vendredi pour leur parler du spectacle. C’est bizarre, mais avant, c’était impossible, je ne pouvais pas parler de "Plic Ploc". Il m’a fallu une semaine de représentations pour pouvoir dire. Comme une pudeur que je devais au spectacle. Même vis à vis de nos amis coproducteurs. Ne pas raconter avant qu’ils l’aient vu. Pas dire. Et puis, dire quoi ? Pareil pour ces lettres, je ne pouvais rien dire, sinon "venez, voyez et vous me direz". Car c’est à vous de dire, pas à moi.
Pendant des mois (des Moi(s) ?), je me suis plongé dans cette création, elle est sortie… Que puis-je ajouter ?
Bien sûr, chaque jour, nous faisons un compte rendu de la veille, une remise des notes. Et puis le spectacle, un peu plissé à la générale, s’est déplié facilement au cours de ces avant-premières.
Je tape, je dis, mais tu vois, je n’arrive pas à en parler vraiment. Beaucoup de retour du public après ces 8 représentations. De retours généreux et emballés.
Quelle joie également de voir que dans un bourg de 3500 âmes, nous accueillons 8000 spectateurs, dont beaucoup de la région proche, des villages et bourgs alentour.
Nos partenaires belges et hollandais se sont déplacés, ceux du "Grand Angle" de Voiron et du "Printemps des Comédiens" de Montpellier également. Et plein d’autres, je ne cite pas tout le monde. Puis les "gens de culture" du pays. Merci de votre enthousiasme, mes amis. Merci de tes mots étoilés, Daniel Boucon, du théâtre de l’Espace. Merci de votre chaleur, amis d’Accrorap (je sais que vous avez tout cafté à Flo et Jackie le lendemain, à défaut de mézigue !).
Mais chacun voit "Plic Ploc" à sa porte : deux personnes de notre connaissance, à défaut d’enthousiasme, avaient chacune, en guise de soutien, avalé un parapluie avant la représentation. Ce geste solidaire à la thématique de "Plic Ploc" (que nous apprécions à sa valeur) leur a cependant donné quelque peu de raideur pendant le spectacle. Mais qu’importe… après digestion, ça ira mieux.
Je ne m’avancerai pas plus sur une déception : un couple d’amis, pour des raisons à eux, n’a visiblement pas pu rentrer dans le spectacle, et cela m’a fait triste…
Voilà, le Cirque Plume n’est pas mort car il bande encore ! Pourquoi je dis ça ? Parce que il y en a "des" qui nous ont enterrés un peu facilement quand nous avons réalisé "Récréation", ne cherchant pas à comprendre notre méthode. Du reste, ils ne sont pas venus voir "Récréation". C’est dire.
Là, le Dom, il risque de me dire : "Mais pourquoi tu mets des trucs comme ça, on s’en fout !". Ben, parce que j’en ai envie, car tout n’est pas lisse. C’est bien normal aussi que tout le monde ne nous fasse pas confiance de la même façon. Cependant, si rien n’oblige d’apprécier notre travail, ça ne devrait pas être obligatoire non plus de le détester…
Pour "Plic Ploc", nous avons mis en place une organisation qui puisse libérer des semaines pour la recherche, nous avons mitigé en tournée théâtre et chapiteau pour des raisons économiques (ce qui nous a plu, en plus !). Bref : au lieu de créer dans une urgence et un temps très réduit comme ces 20 dernières années, nous avons travaillé "normalement". Je veux dire comme une marche, un pas devant l’autre. Dans le respect et la sérénité.
Cette aventure de "Plic Ploc" est une grande aventure pour ma vie. Je la compare volontiers à celle qui a été de créer la compagnie : il m’a fallu trouver des stratégies de fonctionnement pour permettre les 16 semaines de recherche en plus des 12 semaines de réalisation. C’est un travail d’adaptation de 3 à 4 années. En vrai, j’ai pris cette décision à la première de "Mélanges (opéra plume)" qui n’était pas aboutie, faute de temps de recherche.
Pour une troupe comme nous, pouvoir travailler à chercher pendant qu’un spectacle tourne est un luxe très, très onéreux, alors qu’il me semble que ce devrait être un fonctionnement normal. En tout cas nécessaire.
La conclusion de cette aventure est que nous devons continuer dans cette voie. Pour cela, nous avons besoin tout de même de soutien logistique et notamment d’un lieu de travail et de répétition. La question est : est-ce que les collectivités publiques sont prêtes à nous aider à réaliser un projet de construction d’un lieu de travail permanent ?
Elle est posée.
Comment puis-je finir ces carnets ?
J’ai eu l’idée de "Plic Ploc" en regardant le climatiseur à New York et en rallant contre le chef pétrolier Jordje Bouche qui refusait de signer les accords de Kyoto pour la raison que personne ne peut empêcher un américain de consommer. Bon !
L’idée d’une fuite d’un climatiseur fit son chemin et nous avons "Plic Ploc".
Celle du cow-boy, d’idée, était d’aller indexer les champs pétrolifères irakiens, venger son Papa, et enrichir son clan. Aujourd’hui c’est l’occupation militaire, la guerre civile, l’horreur, le chaos, les tortures, les attentats, le terrorisme… comme prévu au départ. Mais pas par Dordje et son équipe. Il se croyait en Normandie en 44, le yankee. Il faut un peu de culture et beaucoup moins de mégalomanes certitudes pour comprendre le monde.
Ce n’est plus un mystère que cette équipe de guerriers fous est une équipe de menteurs.
On peut se réjouir que le tyran Hussein si courtisé par nos démocraties, autrefois, soit tombé. Cependant, la plus grande réussite du clan Bush, est d’avoir créé un sanctuaire du terrorisme dans un pays où il n’avait pas droit de cité. L’autre est d’avoir augmenté sans commune mesure la haine du monde envers l’Amérique.
Pour ces paranoïaques de républicains, c’est un bon scénario : la paix intérieure a besoin d’ennemis extérieurs. On avait dit l’Histoire terminée, l’Amérique n’ayant plus en face d’elle de bloc communiste, donc plus d’ennemis. Raté.
L’Amérique des Bush a trouvé le moyen rapide et efficace de créer un bloc de haine face à elle. Thanatos est content, il a à manger. La pulsion de mort a trouvé un bon valet. Mais l’Amérique est forte et est réellement une grande démocratie. Mes amis d’Amérique, l’espoir est permis, d’après les sondages.
Chez Plume, on fait des spectacles pour le bonheur des spectateurs, pour le vrai sourire en sortant. Pour une vraie joie. C’est tout ce qu’on a trouvé de contraire à la guerre. A la barbarie. C’est pas grand chose, mais c’est tout ce qu’on a. Alors, on fait ça.
Un dernier mot de "Plic Ploc" : sans l’avoir cherché, je pense que ce spectacle a resserré les liens entre le cirque et le théâtre. Rapproché les codes. A l’insu de notre plein gré.
Alors, à bientôt de se rencontrer sur la route des tournées du Cirque Plume.
Dans le train, sous le soleil au milieu des colzas, je vous embrasse bien fort. Je vous enverrai des cartes postales.
En fait, c’est pas tout à fait terminé…
Le soir de la même journée.
L’interview à France Inter s’est bien passé (Merci Isabelle !), je suis rentré chez moi : à 18 heures 30, j’étais dans le jardin, au soleil.
Il est autour de 22 heures, mes filles sont couchées ou presque, leur maman est à une réunion de parents d’élèves (dont le président est médecin : je l’ai réquisitionné samedi, pour recoudre Alain qui s’est violemment frappé le haut du nez sur un bidon pendant le spectacle et s’est bien ouvert. Quatre points de suture. Merci Damien !). J’ai sorti ma vieille Kowa qui a presque 20 ans, une longue vue terrestre qui permet d’observer les canards et les limicoles. Sorti pour regarder, entre chien et loup quand le bleu domine, les premières étoiles. Au demeurant des planètes : un régal au couchant, Vénus en quartier, c’est émouvant on dirait un bébé lune couché dans son berceau. A son sud, Saturne en disque qui semble plonger dans l’abîme occidental. "Il préside aux choses du temps (…) mais c’est un dieu fort inquiétant (…)", une de mes chansons préférées.
Au-dessus de moi, Jupiter et son cortège de satellites. Je pense que Galilée n’avait pas un appareil aussi sophistiqué que ma vieille longue vue qui grossit 25 fois : 3 fois rien pour regarder le ciel, et tout ce qu’il a trouvé avec ça… j’aime la vie. Je pense que j’aime la vie.
Un grillon à mes pieds me répond une petite chanson. Je lui dis "merci grillon !" et il se tait, du coup. Je viens écrire tout ça, au bureau, pour permettre au grillon de continuer à courtiser sa belle.
Voilà comment les carnets pour la création de "Plic Ploc" s’achèvent ici.
Pour permettre à un grillon de grillonner sa petite chanson.
A la revoyote ! Peut être pour des carnets de tournée, va savoir !
Bise à tous, salut et fraternité.
Le mardi 18 mai 2004
Bernard Kudlak