"C’est le printemps : un poème est une ville en guerre" (extrait n°11 du 2 avril 2008)
un poème est une ville remplie de rue et d’égout
remplie de saints, de héros, de mendiants, de fous
remplie de banalité, de bibine,
remplie de pluie de tonnerre et de période de
sécheresse, un poème est une ville en guerre, …
Charles Bukowski (1969)
Vendredi 7 mars :
Première couleuvre (Salut Kouchner !)
Une esculape pas réveillée et tranquille comme Baptiste. Je l’ai vue et j’ai eu le temps d’aller chercher mon appareil à photos, elle n’avait pas bougé ! Je me suis approché très près d’elle sans vraiment la déranger et puis, bien après s’être fait tirer le portrait, elle s’est coulée lentement sous les lilas.
Lundi 17 Mars :
Je comprends que toute la préparation de "L’atelier du peintre" se fera par des dessins (et des photos), plus que par des descriptions littéraires ou poétiques.
Par exemple, voici un dessin préparatoire à une idée de travail entre le clown Pedro (Hugues Fellot) et une (les) œuvre(s) de Charles Belle.
(http://www.charlesbelle.com )
Samedi 22 mars :
Passage de la première cigogne au dessus du moulin.
Sous la neige.
Dimanche 23 mars :
C’est Pâques, c’est la fête de la résurrection du dieu poisson, le prophète aux yeux tristes, c’est la célébration du renouveau, du printemps… c’est l’hiver.
Vers 15 heures ce dimanche, j’ai observé trois hirondelles de fenêtres volant au ras de l’eau le long du Doubs, à Valentigney. Quel accueil, mes piafs !
Le printemps renâcle, renonce, recule, râle et refroidit l’hirondelle.
Lundi 24 mars :
Les milans noirs sont déjà passés il y a une semaine. Un milan royal élégant, depuis deux jours, cherche les charognes de poissons flottant au fil de l’eau de la Furieuse qui chante au pied de mon bureau. Autrefois, on classait le milan dans la famille des poissons dont il se nourrit, à cause de sa queue fourchue. Autrefois on pensait comme cela : par association.
A propos de refroidir l’hirondelle et de résister au printemps, j’ai lu avec intérêt la description de l’accueil houleux et grossier que firent les perdants dépités de l’ancienne équipe municipale de la mairie de Montreuil (93) à leur nouvelle maire, Dominique Voynet. Sacrés "Stals" ! Ils ne peuvent pas s’en empêcher : la démocratie, la liberté de choisir, dans le fond, c’est pas franchement leur culture ! Cours camarade, le vieux monde est derrière toi !
Enfin voila le printemps. Tout sous la neige reverdit.
Reverdy. C’est un poète. J’y reviendrai.
C’est rigolo, entre deux giboulées, la neige fond rapidement sur l’herbe. En revanche, dans mon petit potager, chaque carré de terre retournée, prête aux semailles et aux plantations, résiste : couverts de neige inégalement répartie, ils ressemblent à des tableaux modernes aux trames granuleuses et appétissantes. Chacun comme une œuvre éphémère, posée délicatement dans le vert brillant d’eau de la pelouse environnante.
Cette année, je ne suis pas à la bourre, j’ai le potager à la coule. Cette activité de jardinage, de débroussaillage et d’entretien du verger constitue un balancier idéal et complémentaire au travail, immobile, de l’écriture d’un spectacle. J’y consacre suffisamment de mon temps pour être dans les délais indiqués par "Les quatre saisons du jardin bio", "Rustica", mon papa ou le calendrier lunaire de l’année 2008.
Me reste à être dans les temps pour le travail de recherche artistique du mois d’avril !
Crois-tu ?
Dans le champ en face, le blé d’hiver, vert et dru, souligné de sillons blancs, ressemble à une page d’écriture saupoudrée. C’est beau.
Pierre Reverdy a travaillé avec Picasso, Braque, Matisse… Pour ces raisons, je viens d’acheter un de ses livres de poèmes : hélas, je suis totalement imperméable à ses vers. J’ai lu, je ne comprends rien. Ce n’est pas souvent que je ne comprends rien à ce point à la poésie. Sans me vanter.
Villon.
L’automne dernier, après la création du "Cabaret des valises", durant un ou deux mois, chaque soir, je me plongeais dans l’œuvre de François Villon. Et en particulier dans "Le Testament". Je m’imprégnais de ses vers. Villon et Rimbaud m’ont toujours accompagné dans mes tournées depuis la première sortie de ma première caravane, par goût et par superstition. Lire et relire les mêmes poèmes, chaque jour durant une grande période, vous plonge au cœur de l’oeuvre.
J’avais lu le roman excessif de Jean Teulé "Je, François Villon" : féroce, marrant et baroque à force de forcer. C’est lui qui m’a donné envie de me plonger dans l’œuvre. Je vous le conseille, mais ne le prenez pas aux maux !
Mardi 25 mars :
Alfred.
Au cours d’une soirée délicieuse avec des amis, je racontais, comme à vous au précédent paragraphe, mon intérêt pour Villon et mes lectures quotidiennes du Testament. L’un des convives, Alfred, un vieil homme, magnifique de barbe blanche et d’yeux pétillants que nous venions de rencontrer, se lève et, lentement, avec délectation, gourmandise et dévotion, récite pour nous, en entier, une ballade à la vierge Marie, intitulée la "Ballade pour prier Notre Dame", que Villon écrivit pour sa mère :
"Dame du ciel, régente terrienne
Emperière des infernaux palus
Recevez moi, votre humble chrétienne,
Que comprise soie entre vos élus,
Ce nonobstant qu’onque rien ne valus"
……
Nous écoutâmes avec délectation ce poème d’humilité et de foi, écrit par un preux coquillard qui voulut entendre et faire entendre la voix de sa mère et des mères de son temps.
" Femme, je suis pauvrette et ancienne,
Qui rien ne sait, onques n’a lu…"
J’en avais les larmes aux yeux, Alfred nous fit également le plaisir d’une partie de "La ballade de la grosse Margot" :
" …….
Et au réveil, quand le ventre lui bruit,
Monte sur moi que ne gâte son fruit.
Sous elle geins, plus qu’un ais (*) me fais plat,
De paillarder tout elle me détruit,
En ce bordeau où tenons notre état.
En rentrant chez moi je me suis imposé d’apprendre cette ballade en hommage à ce moment inoubliable que nous offrit notre ami lettré. L’année de mes 90 ans, je la réciterai à mes petits-enfants, en souvenir de cette soirée et de toutes les mères de tous les poètes.
Je ne vois pas vraiment le rapport entre Villon et "L’atelier du peintre", mais bon… je vous raconte ce que je veux (hein, Dom ?) ! Cependant il en est un de lien, fort, entre François Villon et Charles Bukoswki. Bien qu’hélas je n’en lise que des traductions.
Charles Bukowski.
Je ne l’avais jamais lu : autrefois, ignorant et crétin, j’assimilais Bukoswki, sans le connaître, à la cohorte des cyniques mondains, des nihilistes prétentieux et aristocrasseux en vogue dans les années 80, dont la morgue me trouait le ventre. La mode de l’alcoolo télévisé, avec Gainsbarre et le scandale de Buk chez Pivot, trop largement commenté, m’en avait tenu éloigné. Une vraie connerie, quoi !
Je lis "Les jours s’en vont comme des chevaux sauvages dans les collines" comme j’ai lu Villon, en boucle, chaque jour, du début à la fin et retour.
J’en pleure aussi. J’entends sa voix au clochard céleste, et, à travers elle, celle de mes potes disparus dans l’alcool, la dope ou le suicide. J’entends le torrent de force de vie qui traverse ces poèmes. Ce torrent m’irrigue. J’entends la vie qui chante dans son acception la plus sombre ou la plus grise ou la plus merdeuse. J’entends ma vie qui chante.
" De tous les lits en fer du paradis,
le tien était le plus cruel
et j’étais fumée dans ton miroir"
Tous les poèmes de ce recueil sont en relation avec "L’atelier du peintre", mais "Le grand" plus franchement : Charles s’y glisse dans la peau de son éditeur venu chercher chez lui ses manuscrits et dit au sujet du poète Bukowski :
"Déprimé au bout du bar
il avait l’habitude de se faire payer
ses verres, il est devenu chauve et
je me tiens près de lui
tu es le plus grand poète
de notre époque, tu es le
seul que tout le monde
comprenne…"
Je ne transcris pas tout le poème, mais en voici la fin :
"Lorsque je m’en vais avec ses manuscrits (signés),
une de ses huiles plus
3 carnets à spirale
illisibles,
il ne me raccompagne pas à la porte, il y a un
miroir et il reste là à se regarder dans le
miroir et il
baisse la tête honteux et
fini."
" L’Artiste, a dit un jour un vieux sage,
est toujours assis sur le seuil du
riche."
" Je remonte dans ma charrette, balance le paquet à l’arrière et démarre."
En miettes : voici un dessin de morceaux de miroirs brisés comme une image, ou l’inverse…
Nous vérifierons dans quinze jours, quand nous reprendrons notre recherche…
Artiste… c’est en miettes, en morceaux, en miroirs ou en vie ?
Je vous embrasse.
Bernard Kudlak
(*) Un ais est une planche