Avec l’impôt culture : la fête qui dure ! (7 juillet 2003) par Bernard Kudlak
Est-ce que le Cirque Plume est en grève de répétitions de "Plic Ploc" pour cause de combat des intermittents ? Non ! La compagnie est en vacances de tournée pendant cet été. Pour la première fois depuis vingt ans.
Mais notre équipe administrative (dite " le bureau"), Jean-Marie, Robert et moi-même ne sommes pas en congés, pour cause de préparation des répétitions de " Plic Ploc" de novembre : si on veut avoir une salle et du matériel prêt, ce n’est pas le moment de chômer ! Et nous n’avons pas de salle pour répéter en novembre, à ce jour !!
Chez nous, à Belfort, les Eurockéennes ont été sauvées en s’appelant "festival militant". C’est une bonne idée... mais démago non ? Bravo Monsieur Proust (président du Conseil général du Territoire de Belfort) ! Si c’est du rock, on sauve si c’est de l’opéra ou de la danse, on boycotte ? Il y aurait les bons et les mauvais festivals ? Il y a un truc qui me fait peur là-dedans…
Par le combat des intermittents, la France découvre toute une profession et l’implication économique et sociale des travailleurs du spectacle : c’est une très bonne chose. Mais l’arrêt des festivals, et leur mise en péril souvent, me parait scier la branche sur laquelle nous sommes assis. Donc bravo les Eurocks !!
Enfin, pour le texte ci-dessous : c’est pas "Plic Ploc", mais ça participe au débat, c’est l’essentiel ! D’autre part, maintenant vous avez l’habitude des digressions : à l’avenir, je ne les signalerai plus comme telles.
Bonnes vacances, bons festivals.
AVEC L’IMPOT CULTURE : LA FETE QUI DURE !
Nous sommes en plein dans les manifestations des intermittents du spectacle (moi-même ai pris la parole au CDN de Besançon pour informer le public qui attendait Abdullah Ibrahim -anciennement Dollar Brand- lequel d’ailleurs nous a offert un concert inoubliable au piano solo, tellement personne ne s’est senti d’arrêter ce concert et ceux du festival "Jazz en Franche-Comté").
Mais les propos autour de cette subvention particulière du spectacle vivant et de l’industrie de la télévision, de la vidéo et du cinéma par l’assurance chômage est d’une grande tartufferie.
Qui paie ? En vérité !
Avant de voir qui paie et qui ne paie pas cette subvention déguisée aux travailleurs artistiques, disons, pour dissiper tout malentendu, que dans son application, cette forme de subvention est extraordinairement efficace et nécessaire à la grande diversité du spectacle vivant en France.
Ceci dit, on admet souvent que le système d’assurance chômage représente ou représenterait la moitié des moyens de financement du spectacle vivant. Admettons que ce fût exact, nous pouvons néanmoins observer qu’entre autres :
Les avocats ne financent pas l’intermittence du spectacle.
Les bouchers, les charcutiers, les fromagers, les épiciers non salariés ne financent pas l’intermittence du spectacle.
Les commerçants du centre ville ne financent pas l’intermittence du spectacle, les autres non plus.
Les brocanteurs, ne financent pas l’intermittence du spectacle, les antiquaires pas plus.
Les restaurateurs ne financent pas l’intermittence du spectacle, leurs employés si.
Les professeurs de mathématiques ne financent pas l’intermittence du spectacle, mais ceux de français ou d’histoire-géo non plus.
Les professeurs de théâtre de l’éducation nationale, ainsi que les professeurs de danse et de cirque de l’éducation nationale ne financent pas l’intermittence du spectacle.
Le personnel administratif de l’éducation nationale ne finance pas l’intermittence du spectacle.
Les militaires de l’armée de terre ne financent pas l’intermittence du spectacle.
Les militaires de l’armée de l’air ne financent pas l’intermittence du spectacle.
Les militaires de la marine nationale ne financent pas l’intermittence du spectacle.
Les policiers qui ont arrêté José Bové ne financent pas l’intermittence du spectacle.
Les CRS qui ont embarqué les intermittents du spectacle qui bloquaient le théâtre de Caen ne financent pas l’intermittence du spectacle.
Les paysans qui ont détruit le bureau d’un ministre de l’environnement ne financent pas l’intermittence du spectacle.
Les paysans non salariés militants des syndicats paysans de droite ne financent pas l’intermittence du spectacle.
Les paysans non salariés militants des syndicats paysans de gauche ne financent pas l’intermittence du spectacle.
Les juges, les procureurs de la république, les gardiens des prisons surchargées ne financent pas l’intermittence du spectacle.
Les voleurs, les bandits, les escrocs, les marchands de teush, les aigrefins, les trafiquants de cigarettes de contrebande ne financent pas l’intermittence du spectacle.
Les adeptes des sectes fermées ne financent pas l’intermittence du spectacle.
Les curés, les abbés, les bonnes sœurs, les frères trappistes ne financent pas l’intermittence du spectacle (sauf peut être en Alsace, il faudrait vérifier).
Les toubibs et infirmiers libéraux ne financent pas l’intermittence du spectacle.
Les gérants de société ne financent pas l’intermittence du spectacle.
Les rentiers ne financent pas l’intermittence du spectacle.
Les boursicoteurs ne financent pas l’intermittence du spectacle.
Les pédégés des grandes sociétés ne financent pas l’intermittence du spectacle, même ceux des chaînes de télévision.
Les directeurs et propriétaires de sociétés de production qui emploient des intermittents du spectacle ne financent pas l’intermittence du spectacle.
Les propriétaires des salles et garages divers loués à Avignon pendant le festival ne financent pas l’intermittence du spectacle dans le cadre de cette activité commerciale.
Les fonctionnaires ne financent pas l’intermittence du spectacle.
Donc, aucun employé des ministères de la culture et de l’éducation et de tous les autres ne finance l’intermittence du spectacle.
Le personnel des administrations qui gèrent les dossiers de demande de subventions des compagnies de danse, de théâtre, de cirque ne finance pas l’intermittence du spectacle.
Les ministres du gouvernement ne financent pas l’intermittence du spectacle.
Le directeur de la direction de la musique, du théâtre et de la danse du ministère de la culture ne finance pas l’intermittence du spectacle.
Car tous les privés, toutes les sociétés ou administrations ne cotisant pas aux ASSEDICS ne financent pas l’intermittence du spectacle. La liste n’est pas infinie, mais elle est très longue et je me fatiguerais à essayer de la rendre exhaustive, et vous, plus encore, à la lire.
Cependant :
Mon voisin, ouvrier maçon, finance l’intermittence du spectacle.
Les tourneurs fraiseurs de l’usine d’à côté financent l’intermittence du spectacle.
Les salariés des grosses fermes céréalières de la Beauce financent l’intermittence du spectacle, ainsi que la société qui les emploie.
Les presque 50% de Français qui ne gagnent pas plus que le SMIC financent l’intermittence du spectacle.
Le personnel des restaurants qui servent les comédiens après le spectacle finance l’intermittence du spectacle.
Le personnel des hôtels dans lesquels ils sont logés finance l’intermittence du spectacle.
Le personnel administratif et artistique des compagnies finance l’intermittence du spectacle.
Les ouvriers, les cadres moyens et supérieurs des petites et moyennes entreprises financent l’intermittence du spectacle.
Toutes les sociétés employant du personnel financent l’intermittence du spectacle.
Tous les particuliers employant personnellement du personnel financent l’intermittence du spectacle.
Toutes les personnes ou sociétés cotisant aux ASSEDICS financent l’intermittence du spectacle.
Avant d’aller plus loin, amusez-vous à imaginer, dans ces deux listes établies au hasard et au fil de la pensée, lesquels vont au spectacle et lesquels n’y vont jamais…
C’est instructif, non ?
Parler de l’intermittence selon ce point de vue est tabou. La conséquence de ce tabou fait du discours sur l’intermittence un discours culpabilisé.
La plupart du temps, écoutez-les, les artistes intermittents, justifier qu’ils ne sont pas des fainéants profiteurs. Et leurs détracteurs de dire que si.
Parce que le financement de cet état de fait n’est pas juste.
Il n’est pas juste qu’une moitié seulement des contribuables -les entreprises et les salariés- financent le spectacle vivant. C’est contraire aux fondements de notre république.
Je crois que si on faisait payer le double du prix des places aux spectacles à tous ceux qui n’ont pas cotisé aux ASSEDICS, cela ne serait pas bien perçu !
Mais il est anormal que ce soit une assurance chômage qui finance le spectacle vivant, l’industrie de la télé, de la vidéo et du cinéma.
Pourtant il est absolument nécessaire de garder les effets et les modalités du statut de l’intermittence du spectacle. Il est garant de notre richesse culturelle.
Mais il faut changer la source de financement.
Il faut maintenir un statut particulier aux artistes du spectacle vivant en France, en finançant ce statut (en tant que statut) par l’impôt qui, lui, est payé à peu près par tout le monde ("Sauf les plus riches", me dit mon voisin employé maçon, mais je n’ai pas vérifié ses sources…).
Alors que 50% des français les moins fortunés ne payent pas d’impôts sur le revenu, ils payent, s’ils sont salariés, leur cote-part aux ASSEDICS, donc aux intermittents.
Le problème, c’est que tout le monde a avantage à cet arrangement historique, mais bâtard (votre serviteur comme tout le monde !).
Mais pourtant, nous, artistes -arrête-moi si je me trompe- ne sommes-nous pas les champions de la critique sociale ? Les champions de faire agir et réagir la société ?
Rappelle-moi, si tu as le temps, ce qu’on peut lire dans les plaquettes des théâtres de toute nature, au sujet de la nécessité du théâtre dans la société. Et de la nécessité de plus de justice et de transparence…
A quand une pièce sur l’injustice des financements du théâtre, dont les fauteuils sont majoritairement occupés par des non cotisants aux ASSEDICS, et à cette autre injustice, qui est que la très grande majorité des cotisants à l’assurance chômage, eux, n’ont jamais mis les pieds dans un théâtre ?
A cette année j’espère ! Au festival d’Avignon dans les garages de non cotisants.
Sauf si, bien sûr, les acteurs et les techniciens de cette pièce de théâtre souhaitée sont en grève pour défendre leur statut.
Statut sans lequel, il n’y aurait pas de pièce du tout. Faute d’acteurs et de techniciens.
C’est pas simple ! Mais que cela ne nous empêche pas de réfléchir et de débattre.
Amitiés syndicales.
Le 7 juillet 2003.
Bernard Kudlak